Depuis plus de vingt ans, la jurisprudence du Conseil d’Etat permet à l’administration de taxer comme distribution occulte l’avantage octroyé par une société qui cède un bien à un prix volontairement minoré. Il juge en effet qu’en cas de vente par une société à un prix que les parties ont délibérément minoré par rapport à la valeur vénale de l’objet de la transaction, sans que cet écart de prix comporte de contrepartie, l’avantage ainsi octroyé doit être requalifié comme une libéralité représentant un avantage occulte constitutif d’une distribution de bénéfices (taxable sur le fondement de l’article 111 c du CGI), alors même que l’opération est portée en comptabilité. Il ajoute que la preuve d’une telle distribution occulte est apportée par l’administration lorsqu’est établie l’existence, d’une part, d’un écart significatif entre le prix convenu et la valeur vénale du bien cédé, d’autre part, d’une intention, pour la société, d’octroyer, et, pour le co-contractant, de recevoir, une libéralité du fait des conditions de la cession (CE, sect., 28 févr. 2001, n° 199295, min. c. Thérond).
La question se posait de l’articulation de cette jurisprudence avec celle, plus récente, qui a fait évoluer la définition de l’acte anormal de gestion, pour y voir l’acte par lequel une entreprise décide de s’appauvrir à des fins étrangères à son intérêt (CE, plén., 21 déc. 2018, n° 402006, sté Croë Suisse).
A la lumière de cette nouvelle définition, l’entreprise peut-elle faire échec à la jurisprudence Thérond en faisant valoir qu’elle ne s’est pas appauvrie, en ce qu’elle aurait réalisé une marge lors de la cession ?
Lorsque la cession porte sur un élément de l’actif immobilisé, la réponse est clairement négative : la décision sté Croë Suisse juge que la caractérisation d’un écart significatif entre le prix de cession et la valeur vénale du bien suffit, à elle seule, pour faire présumer un appauvrissement volontaire.
En revanche, les choses sont moins évidentes lorsque la cession porte sur un élément de stock. En effet, dans ce cas, le Conseil d’Etat juge que la circonstance que la vente soit conclue pour un prix significativement inférieur à la valeur vénale ne suffit pas à faire présumer un acte anormal de gestion lorsque comme en l’espèce le vendeur établit qu’en cédant le bien, il a réalisé à bref délai une marge commerciale importante (CE, 4 juin 2019, n° 418357, société d’investissements maritimes et fonciers).
La décision du 25 octobre 2023 commentée ici vient préciser que cette possibilité de se prévaloir de la marge commerciale réalisée lors de la cession d’un élément de stock ne vaut qu’en l’absence de relations d’intérêts entre le cédant et le cessionnaire. Le simple constat d’un écart significatif entre le prix convenu et la valeur vénale de l’élément de stock est certes insuffisant à faire jouer la présomption d’acte anormal dans le cas d’une cession conclue entre des parties qui ne sont pas liées, mais il suffit à établir l’existence d’une libéralité entre des parties en relations d’intérêts. Comme l’indique la décision, l’« intention libérale (…) est présumée lorsque les parties se trouvent en relation d’intérêts ».
En l’espèce, le Conseil d’Etat juge que l’administration devait être regardée comme établissant l’existence d’une libéralité consentie par l’entreprise, taxable entre les mains du cessionnaire comme distribution occulte, dès lors que l’écart entre le prix de vente et la valeur vénale du bien était significatif (25 % du prix) et que le cessionnaire était gérant et associé unique de l’entreprise, et ne pouvait ainsi ignorer la valeur réelle du bien qu’il a acquis. La circonstance que l’entreprise a réalisé une marge de près de 22 % lors de la revente du bien est jugée indifférente à cet égard.
En revanche, il restera possible de se prévaloir de la marge commerciale réalisée lors de la revente lorsque la vente de l’élément de stock a été réalisée entre des parties qui ne sont pas liées : la jurisprudence antérieure demeure valable sur ce point.
En pratique
En cas de cession d’un stock à un prix inférieur à sa valeur vénale, conserver l’ensemble des éléments permettant de démontrer l’existence d’une contrepartie justifiant l’avantage consenti au cessionnaire, afin de pouvoir renverser la présomption de libéralité résultant du niveau du prix de cession
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Nota : La rubrique “En pratique” est conçue pour permettre aux professionnels de la fiscalité d’appréhender rapidement les conséquences pratiques d’un texte afin d’en faciliter la lecture et la mémorisation. De par sa nature, le contenu de cette rubrique peut être réducteur. De plus, elle est rédigée en simultané avec le texte principal et n’est pas mise à jour en fonction de l’évolution des textes, ni de leur interprétation par la jurisprudence ou la doctrine.
Compte tenu de la sensibilité, de la variété des situations, des enjeux et de l’évolution constante de la matière fiscale, il est recommandé aux non-spécialistes de consulter un professionnel, le plus souvent un avocat fiscaliste, pour assurer la sécurité juridique de leurs opérations. La rédaction décline toute responsabilité quant à l’application des mesures présentées dans la rubrique “En pratique”.
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3. Aux termes de l’article 111 du code général des impôts : » Sont notamment considérés comme revenus distribués : (…) c) les rémunérations et avantages occultes « .
4. En cas d’acquisition par une société à un prix que les parties ont délibérément majoré par rapport à la valeur vénale de l’objet de la transaction, ou, s’il s’agit d’une vente, délibérément minoré, sans que cet écart de prix comporte de contrepartie, l’avantage ainsi octroyé doit être requalifié comme une libéralité représentant un avantage occulte constitutif d’une distribution de bénéfices au sens des dispositions précitées du c de l’article 111 du code général des impôts, alors même que l’opération est portée en comptabilité et y est assortie de toutes les justifications concernant son objet et l’identité du co-contractant, dès lors que cette comptabilisation ne révèle pas, par elle-même, la libéralité en cause. La preuve d’une telle distribution occulte doit être regardée comme apportée par l’administration lorsqu’est établie l’existence, d’une part, d’un écart significatif entre le prix convenu et la valeur vénale du bien cédé, d’autre part, d’une intention, pour la société, d’octroyer, et, pour le co-contractant, de recevoir, une libéralité du fait des conditions de la cession. Cette intention est présumée lorsque les parties sont en relation d’intérêts.
5. En premier lieu, en jugeant qu’il convenait, pour déterminer la valeur du terrain, d’appliquer la valeur par mètre carré déterminée par voie de comparaison avec des transactions portant sur des terrains à bâtir situés à proximité intervenues en 2010 et 2011, à la totalité de sa surface, soit 1 573 m², et non à une surface réduite à 1 071 m² après exclusion de la partie du terrain en forte déclivité ainsi que de celle grevée d’une servitude de passage, au motif que ces parties du terrain, même si elles ne pouvaient être utilisées en vue d’une construction, contribuaient à en accroître la valeur globale, la cour a porté sur les faits de l’espèce une appréciation souveraine exempte de dénaturation et n’a pas commis d’erreur de droit. Elle a, de même, souverainement jugé, sans dénaturer les pièces du dossier et en motivant suffisamment sa décision sur ce point, que l’administration avait suffisamment pris en compte, par les abattements qu’elle a pratiqués, la présence sur le terrain d’une construction inachevée et les conséquences de la non-conformité de cette construction aux règles d’urbanisme. Enfin, en écartant l’évaluation alternative proposée par M. A… au motif que l’expertise sur laquelle elle était fondée avait déterminé la valeur du terrain en litige par comparaison avec des transactions portant sur des terrains non encore viabilisés, alors que la cession en litige portait sur une parcelle de terrain à bâtir, la cour n’a pas davantage dénaturé les pièces du dossier, ni commis d’erreur de droit.
6. En second lieu, pour juger que l’administration fiscale devait être regardée comme établissant l’existence d’une libéralité consentie par l’entreprise Mercuel à M. A…, taxable entre les mains de ce dernier sur le fondement des dispositions du c de l’article 111 du code général des impôts, la cour administrative d’appel s’est fondée, d’une part, sur ce que l’administration apportait la preuve de ce que l’écart entre le prix de vente du bien et sa valeur vénale était d’environ 25 % du prix retenu et, d’autre part, sur ce que M. A…, qui était gérant et associé unique de l’entreprise Mercuel, ne pouvait ignorer la valeur réelle du bien qu’il avait acquis. En statuant ainsi, la cour administrative d’appel, qui a caractérisé l’existence, d’une part, d’un écart significatif entre le prix convenu et la valeur vénale du bien cédé et, d’autre part, d’une intention libérale, laquelle est présumée lorsque les parties se trouvent en relation d’intérêts, n’a ni méconnu la règle rappelée au point 4, ni inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis. En écartant comme dépourvue d’incidence sur l’existence d’un avantage occulte, au sens du c de l’article 111 du code général des impôts, la circonstance que l’entreprise Mercuel avait réalisé une marge de près de 22 % lors de la revente du bien en litige, la cour administrative d’appel n’a pas davantage commis d’erreur de droit.
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