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Montages CumCum d’évitement de retenue à la source : invalidation de la position de l’administration fiscale

CE, 8 décembre 2023, n° 472587, Fédération bancaire française : le Conseil d’Etat juge que l’administration fiscale ne peut, sauf à mettre en œuvre la procédure de répression des abus de droit, écarter l’interposition, entre l’établissement payeur d’un dividende et son bénéficiaire effectif, d’une personne résidente faisant obstacle au prélèvement de la retenue à la source.

On se souvient que, dans le contexte du scandale des CumCum, le législateur est intervenu fin 2018 (loi de finances pour 2019, art. 36) pour soumettre à retenue à la source de l’article 119 bis du CGI les distributions qui ne bénéficient qu’indirectement à des personnes domiciliées hors de France lorsque deux conditions sont remplies (CGI, art. 119 bis A). D’une part, cette clause anti-abus cible les versements réalisés dans le cadre d’une cession temporaire ou opération assimilée ; d’autre part, elle exige que l’opération soit réalisée sur une période de moins de 45 jours incluant la date à laquelle le droit à une distribution de dividende est acquis.

En début d’année, l’administration fiscale a souhaité aller plus loin en estimant que l’article 119 bis du CGI permettrait, à lui seul (sans qu’il soit besoin de recourir à cette clause anti-abus créée fin 2018), de remettre en cause les contournements abusifs de retenues à la source reposant sur l’interposition d’une entité française. En ce sens, elle a publié au BOFiP, le 15 février 2023, une instruction (ref. BOI-RPPM-RCM-30-30-10-10) selon laquelle « la retenue à la source s’applique y compris lorsque le récipiendaire a son domicile fiscal ou son siège en France, dès lors que le bénéficiaire effectif des revenus en cause, c’est-à-dire la personne qui a le droit d’en disposer librement, a son domicile fiscal ou son siège hors de France ».

Par une décision du 8 décembre 2023, rendue en formation de plénière fiscale, le Conseil d’Etat, saisi d’un recours de la FBF, juge illégale cette interprétation de l’article 119 bis du CGI.

Il en résulte qu’en dehors des situations limitativement énumérées par la clause anti-abus de l’article 119 bis A du CGI, l’administration fiscale ne peut, sauf à mettre en œuvre la procédure de répression des abus de droit prévue par l’article L. 64 du LPF, écarter comme ne lui étant pas opposable l’interposition, entre l’établissement payeur et la personne non résidente qu’elle regarde comme le bénéficiaire effectif des revenus en cause, d’une personne résidente titulaire du droit de percevoir des distributions.

Nota : La rubrique “En pratique” est conçue pour permettre aux professionnels de la fiscalité d’appréhender rapidement les conséquences pratiques d’un texte afin d’en faciliter la lecture et la mémorisation. De par sa nature, le contenu de cette rubrique peut être réducteur. De plus, elle est rédigée en simultané avec le texte principal et n’est pas mise à jour en fonction de l’évolution des textes, ni de leur interprétation par la jurisprudence ou la doctrine.

Compte tenu de la sensibilité, de la variété des situations, des enjeux et de l’évolution constante de la matière fiscale, il est recommandé aux non-spécialistes de consulter un professionnel, le plus souvent un avocat fiscaliste, pour assurer la sécurité juridique de leurs opérations. La rédaction décline toute responsabilité quant à l’application des mesures présentées dans la rubrique “En pratique”.

(…)

1. L’administration fiscale a publié le 15 février 2023 au bulletin officiel des finances publiques-Impôts, sous la référence BOI-RPPM-RCM-30-30-10-10, des commentaires administratifs relatifs au 2 de l’article 119 bis du code général des impôts énonçant, à leur paragraphe 1, que la retenue à la source sur les produits d’actions et de parts sociales et les revenus assimilés instituée par cet article  » s’applique aux revenus considérés dans la mesure où ils bénéficient à des personnes qui n’ont pas leur domicile fiscal ou leur siège en France  » et précisant :  » A cet égard, la retenue à la source s’applique y compris lorsque le récipiendaire a son domicile fiscal ou son siège en France, dès lors que le bénéficiaire effectif des revenus en cause, c’est-à-dire la personne qui a le droit d’en disposer librement, a son domicile fiscal ou son siège hors de France « . Le paragraphe 5 des mêmes commentaires précise que :  » Dans certaines situations, la détermination des personnes qui bénéficient effectivement des revenus sur lesquels s’applique cette retenue à la source peut présenter des spécificités, notamment en ce qui concerne le traitement fiscal de certaines activités des établissements bancaires concernant les acquisitions temporaires d’actions de sociétés françaises et les opérations sur certains produits dérivés. / Pour plus de précisions sur les opérations susceptibles de donner lieu au prélèvement par l’établissement bancaire d’une retenue à la source, il convient de se reporter au BOI-RES-RPPM-000122. / Pour plus de précisions sur la retenue à la source à prélever par un établissement bancaire s’agissant d’opérations d’acquisition temporaire d’actions de sociétés françaises auprès de personnes dont le domicile ou le siège est situé hors de France ou de conclusion avec ces mêmes personnes d’opérations sur produits dérivés dont les sous-jacents sont ou comportent des actions de sociétés françaises, il convient de se reporter au BOI-RES-RPPM-000123 « .

2. La Fédération bancaire française demande l’annulation de ces paragraphes ainsi que celle des commentaires publiés sous les références BOI-RES-RPPM-000122 et BOI-RES-RPPM-000123.

3. D’une part, aux termes du 2 de l’article 119 bis du code général des impôts, les produits d’actions et de parts sociales et les revenus assimilés visés aux articles 108 à 117 bis du même code  » donnent lieu à l’application d’une retenue à la source dont le taux est fixé par l’article 187 lorsqu’ils bénéficient à des personnes qui n’ont pas leur domicile fiscal ou leur siège en France « . Il résulte de ces dispositions que les distributions entrant dans leur champ donnent lieu à l’application d’une retenue à la source lorsque le titulaire du droit de les percevoir ou, s’agissant de revenus regardés comme distribués, leur bénéficiaire est domicilié ou établi hors de France. Elles ne sauraient être interprétées comme prévoyant que sont soumises à retenue à la source des distributions dont le titulaire est une personne ayant son domicile fiscal ou son siège en France, lorsque les sommes en cause sont reversées, en tout ou en partie, à une personne ne satisfaisant pas à cette condition et regardée par l’administration comme en étant le bénéficiaire effectif.

4. D’autre part, aux termes de l’article 119 bis A du même code :  » 1. Est réputé constituer un revenu distribué soumis à la retenue à la source prévue au 2 de l’article 119 bis tout versement, dans la limite du montant correspondant à la distribution de produits de parts ou d’actions mentionnée au b, effectué, sous quelque forme et par quelque moyen que ce soit, par une personne qui est établie ou à son domicile fiscal en France au profit, directement ou indirectement, d’une personne qui n’est pas établie ou n’a pas son domicile fiscal en France, lorsque les conditions suivantes sont réunies : / a) Le versement est réalisé dans le cadre d’une cession temporaire ou de toute opération donnant le droit ou faisant obligation de restituer ou revendre ces parts ou actions ou des droits portant sur ces titres ; / b) L’opération mentionnée au a est réalisée pendant une période de moins de quarante-cinq jours incluant la date à laquelle le droit à une distribution de produits d’actions, de parts sociales ou de revenus assimilés mentionnés aux articles 108 à 117 bis est acquis./ 2. La retenue à la source est due lors de la mise en paiement du versement mentionné au 1 et acquittée par la personne qui assure ce paiement. / 3. Lorsque le bénéficiaire du versement mentionné au 1 apporte la preuve que ce versement correspond à une opération qui a principalement un objet et un effet autres que d’éviter l’application d’une retenue à la source ou d’obtenir l’octroi d’un avantage fiscal, le 1 n’est pas applicable. Le bénéficiaire peut alors obtenir le remboursement de la retenue à la source définitivement indue auprès du service des impôts de son domicile ou de son siège (…) « . Par dérogation à la règle posée par le 2 de l’article 119 bis précité, ces dispositions permettent, dans des situations limitativement énumérées et sous les réserves qu’elles prévoient, de présumer que constituent des revenus soumis à retenue à la source les reversements effectués, par leur titulaire résident de France, au profit de bénéficiaires établis à l’étranger, de distributions et revenus assimilés.

5. Il résulte de ce qui précède qu’en dehors des situations prévues par l’article 119 bis A du code général des impôts, l’administration fiscale ne peut, sauf à mettre en œuvre la procédure de répression des abus de droit prévue par l’article L. 64 du livre des procédures fiscales, écarter comme ne lui étant pas opposable l’interposition, entre l’établissement payeur et la personne non résidente qu’elle regarde comme le bénéficiaire effectif des revenus en cause, d’une personne résidente titulaire du droit de percevoir des distributions.

6. Par suite, en énonçant que la retenue à la source prévue au 2 de l’article 119 bis du code général des impôts  » s’applique y compris lorsque le récipiendaire a son domicile fiscal ou son siège en France, dès lors que le bénéficiaire effectif des revenus en cause, c’est-à-dire la personne qui a le droit d’en disposer librement, a son domicile fiscal ou son siège hors de France « , les commentaires attaqués ajoutent incompétemment aux dispositions législatives qu’ils ont pour objet d’éclairer.

7. Le paragraphe 5 des mêmes commentaires ainsi que ceux publiés sous les références BOI-RES-RPPM-000122 et BOI-RES-RPPM-000123, qui ont pour seul objet de préciser les énonciations dont il vient d’être dit qu’elles ajoutent à la loi, ne peuvent qu’être annulés par voie de conséquence.

8. Il résulte de ce qui précède que, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, la Fédération bancaire française est fondée à demander l’annulation des paragraphes 1, dernière phrase, et 5 des commentaires administratifs publiés le 15 février 2023 au bulletin officiel des finances publiques-Impôts sous la références BOI-RPPM-RCM-30-30-10-10, ainsi que celle des commentaires administratifs publiés sous les références BOI-RES-RPPM-000122 et BOI-RES-RPPM-000123.

(…)

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