Traditionnellement, la jurisprudence avait établi, pour l’application de cette règle, une distinction entre les sanctions « administratives », pour lesquelles la non-déductibilité était cantonnée aux pénalités de toute nature réprimant les contrevenants à la législation sur la liberté des prix et la concurrence, ainsi que les sanctions pénales et celles en matière d’assiette et de recouvrement des impôts. En revanche, la déductibilité était admise pour les sommes correspondant au paiement de dommages et intérêts civils étaient déductibles.
Le régime fiscal de ces pénalités a cependant été modifié en profondeur par la loi de finances pour 2008, dont est issue la rédaction actuelle du 2 de l’article 39 du CGI, applicable à l’impôt sur les sociétés en vertu de l’article 209 du même code : la distinction entre les sanctions administratives et pénales à disparu, le législateur ayant fixé de manière très claire la règle selon laquelle les sanctions pécuniaires et pénalités de toute nature infligées à un contribuable à raison d’une méconnaissance d’une obligation légale ne sont pas admise en déduction pour la détermination du résultat imposable.
A plusieurs reprises, la question s’est posée de savoir si le champ d’application de cette disposition ne concerne que les sanctions pécuniaires et pénalités infligées par une autorité administrative ou judiciaire française ou s’étend désormais également à celles prononcées à l’égard d’une entreprise française pour des manquements à des obligations résultant de la législation d’un Etat étranger. Par une décision n° 458968 du 8 décembre 2023, rendue en formation de plénière fiscale, le Conseil d’Etat vient de répondre de manière positive à cette question. En s’appuyant tant sur la rédaction très large du 2 de l’article 39 du CGI que sur l’intention du législateur lorsqu’il a adopté ces dispositions en 2007, qui souhaitait éviter toute forme de prise en charge indirecte par le budget de l’Etat des sanctions à hauteur du taux de l’IS applicable à l’époque, il a jugé que n’est pas davantage déductible, au sens de ces dispositions, la sanction pécuniaire prononcée par une autorité étrangère à raison de la méconnaissance d’une obligation légale instituée par la législation de l’Etat concerné.
L’arrêt rendu par le Conseil d’Etat ménage toutefois une exception qui mérite d’être mentionnée, en prévoyant que la sanction concernée ne doit pas être contraire à la « conception française de l’ordre public international ». La décision ne précise pas explicitement ce qu’il convient d’entendre par cette notion, et il reviendra à la jurisprudence d’en définir la portée. On peut toutefois estimer sans grand risque qu’elle ne doit pas être cantonnée à une sorte de « principe d’équivalence », limitant la règle de non-déductibilité aux seules sanctions qui ont leur équivalent dans l’ordre juridique interne de la France. Cette exception pourrait cependant être admise, sous le contrôle du juge de l’impôt français, dans le cas où la sanction pécuniaire frappant une société française ne respecte pas le principe de légalité des délits et des peines en ce qu’elle n’était prévue par aucun texte, ou encore lorsqu’elle est de toute évidence infligée à une entreprise française en vue de porter atteinte aux intérêts économiques de notre pays.
En pratique
En cas de sanctions infligées à une société française par les autorités administratives ou judiciaires d’un Etat étranger, il convient de s’assurer, d’une part, qu’elles n’entrent pas dans le champ de la « clause de sauvegarde » relative la conception française de l’ordre public international, et d’autre part, que les sommes correspondantes ont bien le caractère de sanctions pécuniaires. En effet, les sommes mises à la charge d’un contribuable à raison de manquements à des obligations purement contractuelles ou de réparation civile ne relèvent pas de la disposition expresse de non-déductibilité de l’article 39-2 du CGI. Elles sont donc en principe déductibles dans les conditions de droit commun.
Nota : La rubrique “En pratique” est conçue pour permettre aux professionnels de la fiscalité d’appréhender rapidement les conséquences pratiques d’un texte afin d’en faciliter la lecture et la mémorisation. De par sa nature, le contenu de cette rubrique peut être réducteur. De plus, elle est rédigée en simultané avec le texte principal et n’est pas mise à jour en fonction de l’évolution des textes, ni de leur interprétation par la jurisprudence ou la doctrine.
Compte tenu de la sensibilité, de la variété des situations, des enjeux et de l’évolution constante de la matière fiscale, il est recommandé aux non-spécialistes de consulter un professionnel, le plus souvent un avocat fiscaliste, pour assurer la sécurité juridique de leurs opérations. La rédaction décline toute responsabilité quant à l’application des mesures présentées dans la rubrique “En pratique”.
(…) 2. Aux termes de l’article 39 du code général des impôts, applicable en matière d’impôt sur les sociétés en vertu de l’article 209 du même code, le « bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges », notamment celle des « frais généraux de toute nature ». Toutefois, le 2 de ce même article dispose que « [l]es sanctions pécuniaires et pénalités de toute nature mises à la charge des contrevenants à des obligations légales ne sont pas admises en déduction des bénéfices soumis à l’impôt ». Ces dernières dispositions font obstacle à la déduction de toute somme d’argent mise, aux fins de prévention et de répression, à la charge d’un contribuable qui a méconnu une obligation légale. N’est ainsi pas déductible, en application de ces dispositions, la sanction pécuniaire prononcée par une autorité étrangère à raison de la méconnaissance d’une obligation légale étrangère, sauf si cette sanction a été prononcée en contrariété avec la conception française de l’ordre public international.
3. Pour juger que les dommages-intérêts punitifs en litige devaient être regardés, non comme des sanctions pécuniaires au sens des dispositions citées au point 2 mais comme un complément d’indemnité accordé à la victime, déductible du bénéfice imposable, la cour administrative d’appel de Versailles s’est fondée sur la circonstance qu’ils avaient été prononcés dans le cadre d’un litige commercial pour la satisfaction d’intérêts privés et versés à la victime. En statuant ainsi, alors qu’il ressortait des énonciations de son arrêt que ces dommages-intérêts punitifs visaient à dissuader la réitération de faits similaires à celui à l’origine du dommage et s’ajoutaient aux dommages-intérêts compensatoires versés par ailleurs pour réparer le préjudice subi, ce qui leur conférait le caractère d’une sanction pécuniaire au sens des dispositions citées au point 2, la cour a inexactement qualifié les faits de l’espèce. Le ministre de l’économie, des finances et de la relance est fondé, pour ce motif, et sans qu’il soit besoin de se prononcer sur l’autre moyen du pourvoi, à demander l’annulation des articles 3 et 4 de l’arrêt qu’il attaque (…) ».
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