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Bénéficiaire étranger de sommes versées par une société française

CE, 12 décembre 2023, n° 460740-467874 : de quels moyens l’administration dispose-t-elle pour établir que le bénéficaire étranger de sommes versées par une société française est soumis à un régime fiscal privilégié ? Mise en oeuvre de l'article 238 A du CGI

On sait que l’article 238 A du CGI encadre la déduction en charges des intérêts, redevances, et des rémunérations diverses par une personne domiciliée ou établie en France à une personne domiciliée ou établie dans un Etat ou territoire étranger où cette dernière est soumise à un régime fiscal privilégié. Dans ce cas, les paiements effectués par la partie française ne sont admis comme charges déductibles pour l’établissement de l’impôt sur les sociétés qu’à la condition que le débiteur apporte la preuve que les dépenses correspondent à des opérations réelles et ne présentent pas un caractère anormal ou exagéré.

Par ailleurs, aux termes de ce même article 238 A, est regardée comme soumise à un régime fiscal privilégié dans l’Etat  ou le territoire où elle est implantée, soit la personne qui n’y est pas imposable, soit  celle qui y est assujettie à des impôts sur les bénéfices ou les revenus dont le montant  est inférieur de plus de 40 % (depuis le 1er janvier 2020) à  celui de l’impôt sur les bénéfices dont elle aurait été redevable dans  les conditions de droit commun en France, si elle y avait été domiciliée ou établie. La charge de la preuve qu’une société ou une personne physique bénéficiaire des sommes versées est soumise à un régime fiscal privilégié dans son Etat out territoire d’implantation incombe à l’administration et, selon la jurisprudence, cette dernière ne peut se contenter de procéder à une comparaison des taux d’imposition mais doit en principe réunir des éléments circonstanciés sur les modalités selon lesquelles les activités du bénéficiaire étranger des versements sont soumises à l’impôt dans l’Etat ou le territoire concerné.

Concrètement, l’administration doit déterminer le régime de droit commun applicable dans ce pays aux entreprises réalisant une activité économique de même nature. Sauf preuve contraire, il est alors admis que le bénéficiaire des versements se trouve soumis à ce régime fiscal. Dans une décision du 12 décembre 2023 (n° 460740-467874), le Conseil d’Etat précise cependant que ce raisonnement par catégorie de régime d’imposition ne constitue pas la seule modalité de preuve de la soumission du bénéficiaire des versements à un régime fiscal privilégié : ce mode de preuve n’est pas nécessaire lorsque l’administration est en mesure d’apporter directement des éléments sur la situation effective du contribuable étranger, qu’elle a notamment pu obtenir dans le cadre de l’assistance administrative mise en œuvre avec l’Etat étranger dans lequel il est établi. Tel était le cas en l’espèce : en réponse à une demande de l’administration fiscale, les autorités chypriotes ont indiqué que l’entité bénéficiaire des sommes versées par la société française était détenue par un non-résident, n’exerçait aucune activité à Chypre, et n’y avait acquitté aucun impôt au titre des années d’impositions concernées.

Nota : La rubrique “En pratique” est conçue pour permettre aux professionnels de la fiscalité d’appréhender rapidement les conséquences pratiques d’un texte afin d’en faciliter la lecture et la mémorisation. De par sa nature, le contenu de cette rubrique peut être réducteur. De plus, elle est rédigée en simultané avec le texte principal et n’est pas mise à jour en fonction de l’évolution des textes, ni de leur interprétation par la jurisprudence ou la doctrine.

Compte tenu de la sensibilité, de la variété des situations, des enjeux et de l’évolution constante de la matière fiscale, il est recommandé aux non-spécialistes de consulter un professionnel, le plus souvent un avocat fiscaliste, pour assurer la sécurité juridique de leurs opérations. La rédaction décline toute responsabilité quant à l’application des mesures présentées dans la rubrique “En pratique”.

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2. Aux termes du premier alinéa de l’article 238 A du code général des impôts : « Les intérêts, arrérages et autres produits des obligations, créances, dépôts et cautionnements, les redevances de cession ou concession de licences d’exploitation, de brevets d’invention, de marques de fabrique, procédés ou formules de fabrication et autres droits analogues ou les rémunérations de services, payés ou dus par une personne physique ou morale domiciliée ou établie en France à des personnes physiques ou morales qui sont domiciliées ou établies dans un Etat étranger ou un territoire situé hors de France et y sont soumises à un régime fiscal privilégié, ne sont admis comme charges déductibles pour l’établissement de l’impôt que si le débiteur apporte la preuve que les dépenses correspondent à des opérations réelles et qu’elles ne présentent pas un caractère anormal ou exagéré ». Aux termes du deuxième alinéa du même article, dans sa rédaction applicable aux exercices en litige : « Pour l’application du premier alinéa, les personnes sont regardées comme soumises à un régime fiscal privilégié dans l’Etat ou le territoire considéré si elles n’y sont pas imposables ou si elles y sont assujetties à des impôts sur les bénéfices ou les revenus dont le montant est inférieur de plus de la moitié à celui de l’impôt sur les bénéfices ou sur les revenus dont elles auraient été redevables dans les conditions de droit commun en France, si elles y avaient été domiciliées ou établies ».

3. Lorsque l’administration fiscale se prévaut des dispositions de l’article 238 A du code général des impôts, elle doit justifier que le bénéficiaire des sommes dont elle conteste la déduction est soumis hors de France à un régime fiscal privilégié par comparaison avec celui auquel il serait soumis s’il les percevait en France. Il lui appartient à cet égard d’apporter tous éléments circonstanciés sur le traitement fiscal effectif auquel est soumis ce bénéficiaire dans le pays où il est domicilié ou établi ou, à défaut, sur les modalités selon lesquelles y sont imposées des activités du type de celles qu’il exerce, en prenant en compte, dans un cas comme dans l’autre, l’ensemble des impositions directes sur les bénéfices ou les revenus.

4. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l’administration fiscale a notamment remis en cause, sur le fondement de l’article 238 A du code général des impôts, la déduction des bénéfices de la société A soumis à l’impôt sur les sociétés au titre des exercices clos en 2012 et 2013 de redevances versées par cette société au cours de ces exercices à la société chypriote B, en exécution d’un contrat de licence de la marque « A » conclu avec cette dernière le 15 novembre 2011.

5. En premier lieu, pour démontrer que la société A était soumise à Chypre à un régime fiscal privilégié au sens de l’article 238 A du code général des impôts, l’administration fiscale faisait valoir devant la cour administrative d’appel, non seulement que les sociétés constituées à Chypre dont le capital est détenu par des non-résidents et dont la source des revenus est située hors de Chypre sont soit soumises à un taux d’impôt sur les sociétés de 10 % (12,5 % en 2013) si elles sont contrôlées ou dirigées depuis Chypre, soit exonérées dans le cas contraire, alors que le taux de l’impôt français sur les sociétés était fixé à 33,1/3 % par l’article 219 du code général des impôts au titre des exercices en litige, mais aussi que, selon les autorités fiscales chypriotes, la société B, détenue par un résident du Togo, n’avait pas été soumise à Chypre à l’impôt sur les sociétés ni à aucun autre impôt au titre de ces exercices. En déduisant de ces éléments, qui n’étaient pas contestés, que l’administration établissait que la société B était soumise à Chypre à un régime fiscal privilégié au sens de l’article 238 A du code général des impôts, la cour administrative d’appel n’a pas commis d’erreur de droit.6. En second lieu, en ce qui concerne la démonstration par la société A de ce que les dépenses en cause correspondaient à des opérations réelles et ne présentaient pas un caractère anormal ou exagéré, la cour administrative d’appel a relevé, par un motif non contesté par le pourvoi, que cette société n’apportait aucune justification comptable au soutien de ses allégations selon lesquelles le montant des redevances versées était proportionné au regard du chiffre d’affaires réalisé grâce à la vente des produits qu’elle commercialisait sous les marques « A ». En se fondant notamment sur ce motif pour juger que la société n’apportait pas la preuve qui lui incombait en vertu de l’article 238 A du code général des impôts, la cour administrative d’appel, qui a suffisamment motivé son arrêt, n’a pas dénaturé les pièces du dossier.

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