Par cette décision, le Conseil d’Etat, dans la ligne de sa jurisprudence sur les critères de distinction entre aides commerciales et financières, s’oppose à la conception stricte des aides commerciales déductibles retenue par l’administration.
Etait en cause une subvention accordée par la société Compagnie Gervais Danone (CGD) à la société turque Danone Tikvesli, dont elle détenait 22% du capital. Cette filiale, à laquelle elle avait concédé le droit d’utiliser des marques et brevets afin de fabriquer et vendre des produits laitiers sur le marché turc, était fortement déficitaire ; pour déduire l’intégralité de cette subvention de son bénéfice imposable, la société CGD faisait valoir fait valoir l’importance du maintien de sa présence sur ce marché en croissance, dont elle attendait à terme qu’il lui procure des redevances d’exploitation d’actifs incorporels.
L’administration, suivie par la cour administrative d’appel de Versailles, avait estimé que cette aide ne répondait pas à un intérêt propre de la société CGD et constituait par suite, pour sa part excédant sa participation, un transfert indirect de bénéfices au sens de l’article 57 du CGI.
Cassant l’arrêt pour double erreur de droit, le Conseil d’Etat vient invalider les deux motifs retenus par la cour pour refuser la déduction intégrale de la subvention en litige.
En premier lieu, la cour s’était fondée sur la circonstance que la société CGD n’était qu’actionnaire minoritaire : selon elle, le fait que l’actionnaire majoritaire disposait tout autant d’un intérêt financier à la préservation du renom de la marque faisait obstacle à ce que la société CGD supporte intégralement la charge du refinancement de la filiale. Le Conseil d’Etat juge cette circonstance indifférente : l’absence d’intérêt commercial pour l’actionnaire minoritaire ne saurait être déduite de la seule existence d’un intérêt financier de l’actionnaire principal de la filiale à procéder à son refinancement.
En second lieu, la cour avait dénié les perspectives de croissance sur le marché turc, en constatant qu’aucune redevance n’avait été versée par la filiale à la date d’octroi de l’aide. Là aussi, le Conseil d’Etat juge ce motif entaché d’erreur de droit : une aide motivée par le développement d’une activité qui n’a permis le versement d’aucune redevance en rémunération de la concession du droit d’exploiter des actifs incorporels présente néanmoins un caractère commercial lorsque les perspectives de développement de cette activité ne sont pas purement éventuelles. Ce faisant, le Conseil d’Etat vient prolonger sa récente jurisprudence Société Lamaï (CE, 26 juil. 2023, n° 463846), selon laquelle la circonstance qu’une aide soit motivée par le développement d’une activité qui, à la date d’octroi de cette aide, n’a permis la réalisation d’aucun chiffre d’affaires est néanmoins susceptible de conférer à l’aide un caractère commercial lorsque les perspectives de développement de cette activité n’apparaissent pas, à cette même date, comme purement éventuelles.
En pratique
L’actionnaire minoritaire d’une entité du groupe peut déduire intégralement l’aide qu’il accorde à cette dernière s’il démontre son intérêt commercial propre, même si l’actionnaire majoritaire avait également intérêt à l’aider.
Nota : La rubrique “En pratique” est conçue pour permettre aux professionnels de la fiscalité d’appréhender rapidement les conséquences pratiques d’un texte afin d’en faciliter la lecture et la mémorisation. De par sa nature, le contenu de cette rubrique peut être réducteur. De plus, elle est rédigée en simultané avec le texte principal et n’est pas mise à jour en fonction de l’évolution des textes, ni de leur interprétation par la jurisprudence ou la doctrine.
Compte tenu de la sensibilité, de la variété des situations, des enjeux et de l’évolution constante de la matière fiscale, il est recommandé aux non-spécialistes de consulter un professionnel, le plus souvent un avocat fiscaliste, pour assurer la sécurité juridique de leurs opérations. La rédaction décline toute responsabilité quant à l’application des mesures présentées dans la rubrique “En pratique”.
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1. Il ressort des pièces des dossiers soumis aux juges du fond qu’à la suite d’une vérification de comptabilité, l’administration fiscale a remis en cause la déduction opérée par la société Compagnie Gervais Danone, au titre de l’exercice 2011, d’une subvention de 39 148 346 euros versée à la société turque Danone Tikvesli, dans laquelle elle détient une participation minoritaire. Estimant que cette aide ne répondait pas à un intérêt propre de la société contribuable et constituait par suite, pour sa part excédant celle correspondant à son pourcentage de participation dans cette société, un transfert indirect de bénéfices au sens de l’article 57 du code général des impôts, l’administration l’a, d’une part, réintégrée dans cette mesure dans ses résultats et, d’autre part, soumise, du fait de sa distribution à la société turque, à la retenue à la source prévue par l’article le 2 de 119 bis du code général des impôts, au taux de 15 % prévu par la convention fiscale conclue le 18 février 1987 entre la France et la Turquie. La société Compagnie Gervais Danone se pourvoit en cassation contre l’arrêt du 22 juin 2021 par lequel la cour administrative d’appel de Versailles a, sur appel du ministre, remis à sa charge la retenue à la source dont le jugement du tribunal administratif de Montreuil du 9 mai 2019 avait prononcé la restitution. Par ailleurs, la société Compagnie Gervais Danone et la société Danone, tête du groupe fiscalement intégré auquel appartient la première, se pourvoient en cassation contre l’arrêt du 22 juin 2021 par lequel la cour administrative d’appel de Versailles a rejeté l’appel qu’elles avaient formé contre le jugement du 9 mai 2019 par lequel le tribunal administratif de Montreuil a rejeté leur demande tendant au rétablissement, à hauteur de la fraction de la subvention accordée à la société Danone Tikvesli non admise en déduction, du déficit reportable constaté au titre de l’exercice clos en 2011 au niveau du groupe.
2. Ces deux pourvois présentent à juger des questions communes. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.
3. Il ressort des pièces des dossiers soumis aux juges du fond que la société Compagnie Gervais Danone a conclu avec la société de droit turc Danone Tikvesli un contrat concédant à cette dernière le droit d’utiliser les marques des produits laitiers du groupe Danone, des brevets et un savoir-faire, dont elle est propriétaire, afin de fabriquer et vendre des produits laitiers sur le marché turc. Pour faire face à la situation nette déficitaire de près de 40 millions d’euros enregistrée par la société Danone Tikvesli à la fin de l’exercice 2010, ce qui, selon les affirmations non contestées des sociétés devant les juges du fond, devait conduire, en vertu du droit turc, à la cessation de son activité, la société Compagnie Gervais Danone lui a versé en 2011 une subvention de 39 148 346 euros, dont l’administration n’a admis la déduction qu’à proportion de sa participation dans la société Danone Tikvesli, qui s’élevait à 22,58 %. Pour justifier de l’existence d’un intérêt commercial de nature à permettre la déduction de l’aide ainsi accordée à sa filiale, la société Compagnie Gervais Danone a fait valoir devant les juges du fond, d’une part, l’importance stratégique du maintien de sa présence sur le marché turc des produits laitiers et, d’autre part, la perspective de croissance des produits qu’elle devait recevoir de sa filiale turque au titre des redevances d’exploitation des marques et droits incorporels qu’elle détient.
4. D’une part, il ressort des énonciations des arrêts attaqués que, pour écarter d’admettre l’existence d’un intérêt commercial propre de la société Compagnie Gervais Danone à verser une aide à sa filiale, la cour s’est fondée sur la circonstance que la société Danone Hayat Icecek, actionnaire majoritaire de la société Danone Tikvesli, disposait tout autant d’un intérêt financier à la préservation du renom de la marque, ce qui faisait obstacle à ce que la société Compagnie Gervais Danone supporte intégralement la charge du refinancement de la société Danone Tikvesli. En déduisant ainsi l’absence d’intérêt commercial de la société Compagnie Gervais Danone de la seule existence d’un intérêt financier de l’actionnaire principal de la société Danone Tikvesli à procéder à son refinancement, la cour a commis une erreur de droit.
5. D’autre part, il ressort des énonciations des arrêts attaqués que, pour refuser l’existence d’un intérêt commercial propre de la société Compagnie Gervais Danone à verser une aide à sa filiale, la cour s’est également fondée sur la circonstance que les éléments produits par cette société ne permettaient pas de tenir pour établies les perspectives alléguées de croissance de ses produits, qui se trouvaient contredites par la circonstance qu’aucune redevance ne lui avait été versée avant 2017 par la société turque en rémunération du droit d’exploiter les marques et droits incorporels qu’elle détient. En statuant ainsi, alors que la circonstance qu’une aide soit motivée par le développement d’une activité qui, à la date de son octroi, n’a permis la réalisation d’aucun chiffre d’affaires ou, comme en l’espèce, le versement d’aucune redevance en rémunération de la concession du droit d’exploiter des actifs incorporels, est néanmoins susceptible de conférer à une telle aide un caractère commercial lorsque les perspectives de développement de cette activité n’apparaissent pas, à cette même date, comme purement éventuelles, la cour a commis une erreur de droit.
6. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens des pourvois, les sociétés Compagnie Gervais Danone et Danone sont fondées à demander l’annulation des arrêts qu’elles attaquent.
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