On se souvient que, par ses décisions Alec W. du 24 juin 2016 (n° 2016-545 QPC) et Thomas T. du 23 novembre 2018 (n° 2018-745 QPC), le Conseil constitutionnel a assorti de trois réserves d’interprétation la déclaration de conformité à la Constitution de l’application combinée de la répression pénale du délit de fraude fiscale (art. 1741 du CGI) et des sanctions fiscales, notamment pour omission déclarative (1 de l’art. 1728 du CGI).
Il a en effet jugé, d’abord, qu’un contribuable qui a été déchargé de l’impôt par une décision juridictionnelle devenue définitive pour un motif de fond ne peut être condamné pour fraude fiscale, puis que les sanctions pénales ne peuvent s’appliquer qu’aux cas les plus graves d’omission déclarative frauduleuse et, enfin, qu’en cas de cumul de sanctions, le montant global des sanctions prononcées ne peut, sans méconnaître le principe de proportionnalité des peines, dépasser le montant le plus élevé de l’une des sanctions encourues.
Le présent litige porté devant le Conseil d’Etat en cassation posait la question des conséquences à tirer de cette troisième réserve d’interprétation.
En l’espèce, les contribuables requérants s’étaient vus infliger la majoration de 40 % pour défaut de dépôt de leur déclaration de revenu global dans les trente jours suivant mise en demeure. Puis, ils avaient été condamnés à quatre ans d’emprisonnement (dont trois avec sursis) et à une peine de confiscation, pour s’être frauduleusement soustraits à l’établissement de l’impôt sur le revenu et de la TVA, par un arrêt de la cour d’appel de Saint-Denis de la Réunion confirmé par la Cour de cassation.
Pour contester devant le juge de l’impôt la majoration de 40 % appliquée au redressement d’impôt sur le revenu, ils faisaient notamment valoir que son cumul avec les peines pour fraude fiscale – en particulier la confiscation prononcée en l’espèce par le juge pénal – méconnaissait le principe de proportionnalité des peines.
Le Conseil d’Etat juge ce moyen opérant, et casse par conséquent pour irrégularité l’arrêt d’appel qui s’est abstenu d’y répondre.
Rappelant que les réserves d’interprétation prononcées par le Conseil constitutionnel lient le juge pour l’application de la disposition législative en cause, il en déduit en effet qu’il appartient au juge de l’impôt, saisi d’une contestation relative à des sanctions fiscales infligées, en application du 1 de l’article 1728 du CGI, à un contribuable ayant par ailleurs fait l’objet, à raison des mêmes faits, d’une condamnation pénale devenue définitive de s’assurer, le cas échéant d’office, que le montant cumulé des sanctions de même nature prononcées à l’encontre de ce contribuable à raison de ces deux procédures n’excède pas le montant le plus élevé de l’une des sanctions encourues. Si tel est le cas, il lui appartient de prononcer en conséquence la réduction, dans la mesure nécessaire, ou la décharge des pénalités fiscales demeurant en litige devant lui.
Il en résulte que le contribuable peut utilement demander au juge de l’impôt de réduire les sanctions fiscales qui lui ont été infligées lorsque leur montant, cumulé avec celui des peines pénales, ne respecte pas la réserve d’interprétation émise par le Conseil constitutionnel.
Encore faut-il toutefois que les sanctions aient été prononcées à raison des mêmes faits et ne soient pas de nature différente, comme l’illustre cette décision au stade du règlement au fond après cassation.
Le Conseil d’Etat rejette en effet la demande de décharge des pénalités au fond, en relevant que le contribuable n’a en l’espèce pas été condamné seulement pour s’être soustrait à l’impôt sur le revenu, mais aussi pour s’être soustrait frauduleusement à l’établissement et au paiement de la TVA dans le cadre de son entreprise individuelle. Il s’agissait en effet d’un concours d’infractions pénales. Dans ces conditions, il en déduit qu’il n’est pas fondé à soutenir que l’administration ne pouvait mettre à sa charge cette majoration sans méconnaître la réserve d’interprétation du Conseil constitutionnel.
De manière surabondante, il relève qu’au demeurant, la majoration fiscale revêt une nature différente de la peine de confiscation prononcée par le juge pénal, si bien que, pour ce motif également, le cumul de ces deux sanctions ne saurait méconnaître la réserve d’interprétation.
En pratique
En cas de cumul de sanctions fiscales et pénales prononcées à raison des mêmes faits, le contribuable peut utilement demander au juge de l’impôt, lorsque la sanction pénale est devenue définitive et est de même nature que la sanction fiscale, de réduire le montant de cette dernière afin que leur montant cumulé n’excède pas le montant le plus élevé de l’une des deux.
Nota : La rubrique “En pratique” est conçue pour permettre aux professionnels de la fiscalité d’appréhender rapidement les conséquences pratiques d’un texte afin d’en faciliter la lecture et la mémorisation. De par sa nature, le contenu de cette rubrique peut être réducteur. De plus, elle est rédigée en simultané avec le texte principal et n’est pas mise à jour en fonction de l’évolution des textes, ni de leur interprétation par la jurisprudence ou la doctrine.
Compte tenu de la sensibilité, de la variété des situations, des enjeux et de l’évolution constante de la matière fiscale, il est recommandé aux non-spécialistes de consulter un professionnel, le plus souvent un avocat fiscaliste, pour assurer la sécurité juridique de leurs opérations. La rédaction décline toute responsabilité quant à l’application des mesures présentées dans la rubrique “En pratique”.
(…)
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu’à la suite d’une vérification de comptabilité de l’entreprise individuelle exploitée par M. A… et d’un examen contradictoire de leur situation fiscale personnelle portant sur les années 2009, 2010 et 2011, l’administration a assujetti M. A… et Mme B…, qui sont liés par un pacte civil de solidarité, à des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu et de contributions sociales au titre de ces trois années, ainsi qu’à une cotisation supplémentaire de contribution exceptionnelle sur les hauts revenus au titre de l’année 2011. Ces impositions ont été assorties, notamment, de la majoration de 40 % prévue par les dispositions du b du 1 de l’article 1728 du code général des impôts, au motif que les contribuables n’avaient pas déposé de déclaration d’ensemble de leurs revenus pour les années 2009, 2010 et 2011 dans les trente jours suivant la réception d’une mise en demeure. Par un jugement du 5 décembre 2019, le tribunal administratif de La Réunion a rejeté la demande des contribuables tendant à la décharge de ces impositions et pénalités. Par un arrêt du 22 décembre 2022, la cour administrative d’appel de Bordeaux a annulé ce jugement en tant qu’il avait statué sur les conclusions relatives aux contributions sociales établies au titre de l’année 2010 à raison des revenus de capitaux mobiliers perçus par M. A…, prononcé un non-lieu à statuer sur ces conclusions et rejeté le surplus des conclusions de l’appel formé par les contribuables. Par une décision du 13 octobre 2023, le Conseil d’Etat, statuant au contentieux a prononcé l’admission des conclusions du pourvoi formé par M. A… dirigées contre cet arrêt en tant qu’il a statué sur ses conclusions tendant à la décharge des majorations de 40 % dont ont été assorties, sur le fondement des dispositions du b du 1 de l’article 1728 du code général des impôts, les cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu établies au titre des années 2009 à 2011.
2. Les réserves d’interprétation dont une décision du Conseil constitutionnel assortit la déclaration de conformité à la Constitution d’une disposition législative sont revêtues de l’autorité absolue de la chose jugée et lient aussi bien les autorités administratives que le juge pour l’application et l’interprétation de cette disposition.
3. Il résulte des réserves d’interprétation dont le Conseil constitutionnel a assorti sa décision n° 2018-745 QPC du 23 novembre 2018 que lorsqu’un contribuable fait l’objet, à raison des mêmes faits, d’une part, d’une procédure de rectification pouvant conduire à l’application des sanctions pour omission déclarative prévues par les dispositions du 1 de l’article 1728 du code général des impôts et, d’autre part, de poursuites pénales sur le fondement des dispositions de l’article 1741 du même code, qui prévoit et réprime le délit de fraude fiscale, le montant global des sanctions éventuellement prononcées au titre de ces deux procédures ne saurait, sauf à méconnaître le principe de proportionnalité des peines, excéder le montant le plus élevé de l’une des sanctions encourues.
4. Il en résulte qu’il appartient au juge de l’impôt, saisi d’une contestation relative à des sanctions fiscales infligées, en application du 1 de l’article 1728 du code général des impôts, à un contribuable ayant par ailleurs fait l’objet, sur le fondement de l’article 1741 du même code, à raison des mêmes faits, d’une condamnation pénale devenue définitive de s’assurer, le cas échéant d’office, que le montant cumulé des sanctions de même nature prononcées à l’encontre de ce contribuable à raison de ces deux procédures n’excède pas le montant le plus élevé de l’une des sanctions encourues et, si tel est le cas, de prononcer en conséquence la réduction, dans la mesure nécessaire, ou la décharge des pénalités fiscales demeurant en litige devant lui.
5. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par un arrêt du 28 mars 2019, la cour d’appel de Saint-Denis de La Réunion a reconnu M. A… coupable de fraude fiscale pour s’être, entre le 1er janvier 2009 et le 31 décembre 2012, frauduleusement soustrait à l’établissement et au paiement de l’impôt en dissimulant volontairement une part des sommes sujettes à l’impôt, concernant la taxe sur la valeur ajoutée et les bénéfices industriels et commerciaux, et pour s’être frauduleusement soustrait à l’établissement de l’impôt en omettant volontairement de souscrire dans les délais prescrits les déclarations nécessaires à l’établissement de l’impôt sur le revenu au titre des années 2009, 2010 et 2011. La cour d’appel l’a condamné, pour l’ensemble de ces faits, à quatre ans d’emprisonnement, dont trois ans avec sursis, cinq ans d’exclusion des marchés publics, cinq ans d’interdiction des droits civiques ainsi qu’à une peine de confiscation. Par un arrêt du 6 janvier 2021, la Cour de cassation a confirmé cette condamnation, sauf en ce qui concerne la peine d’exclusion des marchés publics.
6. En s’abstenant de répondre au moyen que M. A… et Mme B…, soulevaient devant elle, qui n’était pas inopérant, tiré de ce que les majorations prévues au b du 1 de l’article 1728 du code général des impôts qui leur avaient été appliquées par l’administration fiscale ne pouvaient, sans méconnaître le principe de proportionnalité des peines, être maintenues, dès lors qu’elles se cumulaient avec les peines pour fraude fiscale prononcées à raison des mêmes faits à l’encontre de M. A… par l’arrêt précité de la cour d’appel de Saint-Denis de La Réunion, la cour a entaché son arrêt d’irrégularité.
7. Il résulte de ce qui précède que M. A… est fondé à demander l’annulation de l’arrêt qu’il attaque, en tant qu’il s’est prononcé sur ses conclusions relatives à ces pénalités.
8. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de régler l’affaire au fond dans cette mesure en application de l’article L. 821-2 du code de justice administrative.
9. En premier lieu, si M. A… et Mme B… soutiennent que la mise en demeure de souscrire des déclarations de revenu global pour les années 2009 à 2011 qui leur a été adressée le 19 octobre 2012 serait irrégulière au motif qu’elle indique, par erreur, une date limite de déclaration qui est celle de la déclaration des bénéfices industriels et commerciaux et non celle de la déclaration de revenu global, il résulte de l’instruction que cette mise en demeure, qui mentionne expressément qu’elle est relative à la déclaration de revenu global des trois années en cause, est dépourvue d’ambiguïté quant à son objet, de sorte que la mention d’une date limite de déclaration erronée doit être regardée comme une simple erreur de plume dépourvue d’incidence sur la régularité de cette mise en demeure. Par suite, M. A… et Mme B… ne sont pas fondés à soutenir que les impositions supplémentaires ne pouvaient être assorties de la majoration prévue au b du 1 de l’article 1728 du code général des impôts, faute qu’ils aient été régulièrement mis en demeure de souscrire les déclarations en cause.
10. En deuxième lieu, il découle de ce qui est dit au point 5 que M. A… a été condamné pour un concours d’infractions de fraude fiscale, notamment pour s’être soustrait frauduleusement à l’établissement et au paiement de la taxe sur la valeur ajoutée dans le cadre de son entreprise individuelle, et non à raison des seuls faits pour lesquels les cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu mises à la charge de son foyer fiscal ont été assorties de la majoration de 40 % prévue au b du 1 de l’article 1728 du code général des impôts. Il n’est par suite pas fondé à soutenir que l’administration ne pouvait mettre à sa charge cette majoration sans méconnaître la réserve d’interprétation, rappelée au point 3, dont le Conseil constitutionnel a assorti la déclaration de conformité à la Constitution de l’application combinée des dispositions des articles 1728 et 1741 du même code. Au demeurant, cette majoration revêtant une nature différente de la peine de confiscation prononcée par le juge pénal, le cumul de ces deux sanctions ne saurait méconnaître cette réserve d’interprétation.
11. En dernier lieu, aux termes de l’article 4, paragraphe 1, du protocole n° 7 à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales : » Nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement par les juridictions du même Etat en raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure pénale de cet Etat « . La règle » non bis in idem « , telle qu’elle résulte de ces stipulations, ne trouve à s’appliquer, selon la réserve accompagnant l’instrument de ratification de ce protocole par la France et publiée au Journal officiel de la République française du 27 janvier 1989, à la suite du protocole lui-même, que pour » les infractions relevant en droit français de la compétence des tribunaux statuant en matière pénale « , et n’interdit ainsi pas le prononcé de sanctions fiscales parallèlement aux décisions définitives prononcées par le juge répressif. Par suite, et alors qu’il n’appartient pas au juge national de se prononcer sur la validité de cette réserve, non dissociable de la décision de la France de ratifier ce protocole, M. A… et Mme B… ne sont pas fondés à soutenir que l’administration fiscale aurait méconnu ces stipulations en leur infligeant les pénalités fiscales qu’ils contestent alors que, pour les mêmes faits, M. A… a fait l’objet d’une condamnation pénale devenue définitive.
12. Il résulte de tout ce qui précède que M. A… et Mme B… ne sont pas fondés à soutenir que c’est à tort que, par le jugement qu’ils attaquent, le tribunal administratif de La Réunion a rejeté leurs conclusions tendant à la décharge des pénalités de 40 % dont ont été assorties les impositions supplémentaires mises à leur charge au titre des années 2009 à 2011. (…)
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