En pratique
Les personnes physiques non-résidentes qui, à l’occasion de la cession de titres français, subissent une charge fiscale plus élevée que les résidents bénéficiant des abattements pour durée de détention, peuvent obtenir une décharge partielle en invoquant la liberté de circulation des capitaux.
On sait que les contribuables non-résidents (sociétés et personnes physiques) qui cèdent des titres d’une société française sont, lorsqu’ils détiennent une participation substantielle (plus de 25 % du capital) dans la société, assujettis à un prélèvement sur la plus-value réalisée (CGI, art. 244 bis B). Son taux est, pour les sociétés, identique à celui de l’IS ; il est de 12,8 % pour les personnes physiques, ce qui correspond au taux de l’impôt sur le revenu sur les revenus mobiliers dans le cadre de la « flat tax » de 30 % applicable depuis 2018 (12,8 % d’IR et 17,2 % de contributions sociales).
Le contentieux initié dans cette affaire visait, par un recours dirigé contre le refus d’abroger des commentaires administratifs publiés au BOFIP, à faire constater la contrariété de ce prélèvement avec les libertés de circulation européennes (liberté d’établissement et liberté de circulation des capitaux), dans le cas de plus-values réalisées par des personnes physiques.
Le Conseil d’Etat juge d’abord que c’est exclusivement au regard de la liberté de circulation des capitaux que ce prélèvement doit être examiné. En effet, il est indépendant du niveau des droits de vote du cédant. Or, la Cour de justice de l’UE retient qu’une législation nationale qui ne s’applique pas exclusivement aux situations dans lesquelles l’investisseur exerce une influence décisive sur la société établie dans un Etat membre doit être appréciée au regard de cette liberté.
Il constate ensuite une différence de traitement fiscal en défaveur des non-résidents personnes physiques. En effet, les personnes physiques résidentes ont, dans le cadre du « prélèvement forfaitaire unique » sur les revenus mobiliers (flat tax), la possibilité de soumettre leurs plus-values mobilières au barème de l’impôt sur le revenu et, dans ce cas, pour les titres acquis avant 2018, de bénéficier des abattements pour durée de détention de 50 % et 85 % prévus par l’article 150-0 D du CGI. Or, les dispositions de l’article 244 bis B du CGI n’ouvrent pas une option identique (au contraire, le prélèvement est libératoire). Ainsi, dans les cas où la durée de détention fait que cette option est fiscalement intéressante, un contribuable non-résident supporte une charge fiscale plus importante qu’un résident.
Or, le Conseil d’Etat juge que cette différence de traitement n’est justifiée par aucune différence de situation, et ne trouve pas davantage de justification dans l’objectif d’intérêt général de cohérence du système fiscal français, contrairement à ce qu’invoquait l’administration en défense.
Il en déduit que ce prélèvement porte atteinte à la liberté de circulation des capitaux en tant qu’il est susceptible de faire subir à un non-résident une charge fiscale plus importante qu’à un résident.
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1. M. B…, qui est de nationalité française et indique résider en Norvège, demande l’annulation de la décision implicite de rejet que le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique a opposée à sa demande d’abrogation du paragraphe 30 des commentaires administratifs publiés au bulletin officiel des finances publiques (Bofip) – Impôts le 20 décembre 2019 sous la référence BOI-RPPM-PVBMI-10-30-20-20 et du paragraphe 10 des commentaires administratifs publiés au même bulletin le 25 mai 2023 sous la référence BOI-RPPM-PVBMI-20-20-10, au motif qu’ils réitèrent les dispositions de l’article 244 bis B du code général des impôts méconnaissant la liberté d’établissement et la libre circulation des capitaux garanties, d’une part, par les articles 49 et 63 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et, d’autre part, par les articles 31 et 40 de l’accord sur l’Espace économique européen.
2. L’article 244 bis B du code général des impôts soumet à un prélèvement libératoire de l’impôt sur le revenu les gains résultant de la cession de droits sociaux par des personnes physiques qui ne sont pas domiciliées en France au sens de l’article 4 B du même code, lorsque les droits détenus par le cédant et son conjoint ainsi que leurs ascendants et leurs descendants ont dépassé 25 % de ces bénéfices à un moment quelconque au cours des cinq années précédant la cession. Le deuxième alinéa de cet article dispose que ce prélèvement est fixé » au taux de 12,8 % lorsqu’il est dû par une personne physique « .
3. Aux termes du premier alinéa de l’article 49 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne » Dans le cadre des dispositions ci-après, les restrictions à la liberté d’établissement des ressortissants d’un État membre dans le territoire d’un autre État membre sont interdites. (…) « . Aux termes du 1 de l’article 63 du même traité : » Dans le cadre des dispositions du présent chapitre, toutes les restrictions aux mouvements de capitaux entre les Etats membres et entre les Etats membres et les pays tiers sont interdites « . Aux termes de l’article 65 du même traité : » 1. L’article 63 ne porte pas atteinte au droit qu’ont les Etats membres : / a) D’appliquer les dispositions pertinentes de leur législation fiscale qui établissent une distinction entre les contribuables qui ne se trouvent pas dans la même situation en ce qui concerne leur résidence ou le lieu où leurs capitaux sont investis ; (…) 3. Les mesures et procédures visées aux paragraphes 1 et 2 ne doivent constituer ni un moyen de discrimination arbitraire ni une restriction déguisée à la libre circulation des capitaux et des paiements telle que définie à l’article 63 « . Il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne qu’une législation nationale qui ne s’applique pas exclusivement aux situations dans lesquelles l’investisseur exerce une influence décisive sur la société établie dans un Etat membre doit être appréciée au regard des stipulations de l’article 63 précité du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Un investisseur établi hors de cet état membre peut alors, indépendamment de l’ampleur de la participation qu’il détient dans la société dont les titres sont cédés, se prévaloir de la liberté de circulation des capitaux afin de contester une telle législation nationale. Le cas échéant, celle-ci peut être jugée compatible avec l’article 63 précité si la différence de traitement qu’elle instaure, soit concerne des contribuables qui se trouvent dans des situations objectivement différentes, soit répond à une raison impérieuse d’intérêt général et n’excède pas ce qui est nécessaire pour que l’objectif poursuivi par cette règlementation soit atteint.
4. Les dispositions de l’article 244 bis B du code général des impôts mentionnées au point 2, que réitèrent les commentaires attaqués, prévoient une imposition indépendante du niveau des droits de vote du cédant. Sans exclure de leur champ d’application des situations relevant de la liberté d’établissement, ces dispositions sont par conséquent susceptibles d’affecter de manière prépondérante la libre circulation des capitaux. C’est donc au regard exclusivement des articles 63 et 65 TFUE qu’il convient d’apprécier leur compatibilité avec le droit de l’UE.
5. Si les contribuables ayant leur domicile fiscal en France sont en principe assujettis, au taux de 12,8 %, au prélèvement forfaitaire mentionné au 1 de l’article 200 A du code général des impôts, à raison des plus-values qu’il mentionne, le 2 du même article leur offre la possibilité, sur option de leur part, de soumettre l’imposition de cette plus-value au barème progressif de l’impôt sur le revenu et, pour les titres acquis avant le 1er janvier 2018 et cédés, de bénéficier des abattements pour durée de détention prévus aux 1 ter et 1 quater de l’article 150-0 D du même code, dont les taux sont compris entre 50 et 85 %. Il en résulte que, du fait du caractère libératoire du prélèvement qu’elles instaurent et de l’absence d’option pour l’imposition au barème, les dispositions de l’article 244 bis B conduisent à ce qu’un contribuable ne résidant pas en France puisse être amené à supporter, dans les hypothèses précédentes, une charge fiscale plus importante qu’un contribuable y résidant.
6. D’une part, il n’existe objectivement aucune différence de situation de nature à justifier une telle inégalité de traitement fiscal en ce qui concerne l’imposition des plus-values de cession de valeurs mobilières entre ces deux catégories de contribuables. D’autre part, contrairement à ce que soutient le ministre, cette différence de traitement ne trouve en l’espèce pas sa justification dans la raison impérieuse d’intérêt général de garantir la cohérence du régime fiscal français.
7. Dès lors, les dispositions de l’article 244 bis B du code général des impôts que commentent les énonciations attaquées doivent être regardées comme portant atteinte à la liberté de circulation des capitaux en ce qu’elles sont susceptibles de faire subir à un contribuable qui n’est pas fiscalement domicilié en France une taxation plus importante que celle à laquelle est soumise un contribuable qui y a son domicile, à l’occasion des cessions de droits sociaux qu’elles visent, sans que cette différence de traitement puisse se rattacher aux exceptions prévues par le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Ainsi, le premier alinéa du paragraphe 10 des commentaires publiés le 25 mai 2023 sous la référence BOI-RPPM-PVBMI-20-20-10, de même que la totalité de la » Remarque 2 » composant le dernier alinéa de ce paragraphe doivent être regardés comme réitérant des dispositions législatives qui méconnaissent l’article 63 de ce traité. Tel n’est pas le cas, en revanche, du paragraphe 30 des commentaires publiés le 20 décembre 2019 sous la référence BOI-RPPM-PVBMI-10-30-20-20, qui se borne à rappeler les dispositions de l’article 244 bis B du code général des impôts sans préciser qu’il est exclu qu’un contribuable ayant son domicile fiscal à l’étranger puisse opter pour l’intégration de la plus-value réalisée au barème progressif de l’impôt sur le revenu.
8. Il en résulte que, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de sa requête, M. B… est seulement fondé à demander l’annulation, dans la mesure indiquée ci-dessus, de la décision implicite de rejet que le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique a opposée à sa demande d’abrogation des commentaires attaqués.
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