En pratique
Le recrutement d’un chercheur qui obtient son doctorat après son embauche ouvre droit, pour le calcul du CIR, à la double prise en compte de sa rémunération, à compter de cette obtention et jusqu’à deux ans après son premier recrutement en CDI.
Parmi les dépenses éligibles au crédit d’impôt recherche (CIR) se trouvent les dépenses de personnel afférentes aux chercheurs (CGI, art. 244 bis B, II, b). Depuis 2006, le législateur a prévu que ces dépenses soient prises en compte pour le double de leur montant lorsqu’elles se rapportent à des personnes titulaires d’u doctorat (ou diplôme équivalent), et ce pendant les vingt-quatre premiers mois suivant leur « premier recrutement » en CDI.
Ce bonus de CIR soulève parfois des questions pratiques dans son application, en particulier dans l’hypothèse où une entreprise recrute un salarié quelques jours ou mois avant l’obtention de son doctorat.
Dans l’affaire qui a donné lieu à la décision du Conseil d’Etat du 31 mai 2024, l’administration fiscale avait refusé le bénéfice de ce bonus au motif, précisément, que les chercheurs avaient effectué leur soutenance de thèse après leur embauche. Elle soutenait que seuls les docteurs embauchés comme tels pouvaient donner droit à la majoration du double prévue par la loi.
Le Conseil d’Etat invalide cette lecture restrictive de la loi : il juge que, lorsque la date d’obtention du doctorat est postérieure au recrutement, les dépenses de personnel ouvrent droit à la prise en compte double. Toutefois, cette prise en compte double ne débute qu’à compter de la date d’obtention du doctorat et ne peut excéder une durée de vingt-quatre mois suivant le premier recrutement en CDI de la personne.
Pour ce motif, le Conseil d’Etat annule l’arrêt de la cour administrative d’appel de Paris qui avait donné raison à l’administration et jugé le bonus inapplicable lorsque les salariés n’ont pas fait l’objet d’un premier recrutement en tant que docteur et n’ont pas conclu de nouveau contrat de travail une fois leur titre de docteur obtenu.
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Nota : La rubrique “En pratique” est conçue pour permettre aux professionnels de la fiscalité d’appréhender rapidement les conséquences pratiques d’un texte afin d’en faciliter la lecture et la mémorisation. De par sa nature, le contenu de cette rubrique peut être réducteur. De plus, elle est rédigée en simultané avec le texte principal et n’est pas mise à jour en fonction de l’évolution des textes, ni de leur interprétation par la jurisprudence ou la doctrine.
Compte tenu de la sensibilité, de la variété des situations, des enjeux et de l’évolution constante de la matière fiscale, il est recommandé aux non-spécialistes de consulter un professionnel, le plus souvent un avocat fiscaliste, pour assurer la sécurité juridique de leurs opérations. La rédaction décline toute responsabilité quant à l’application des mesures présentées dans la rubrique “En pratique”.
(…)
1. Il résulte des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société par actions simplifiée (SAS) Awalee Consulting a obtenu, sur réclamation du 11 juillet 2019, le remboursement partiel de crédits d’impôt recherche, pour un montant de 850 335 euros au titre de l’année 2016, sur la somme de 884 424 euros demandée, et de 905 401 euros au titre de l’année 2017, sur la somme de 1 011 630 euros demandée. La société se pourvoit en cassation contre l’arrêt du 31 mai 2023 par lequel la cour administrative d’appel de Paris a rejeté l’appel qu’elle a formé contre le jugement du 7 avril 2022 du tribunal administratif de Paris ayant rejeté sa demande tendant au bénéfice de la restitution des crédits d’impôt dont le remboursement lui avait été refusé.
2. Aux termes de l’article 244 quater B du code général des impôts : » I. – Les entreprises industrielles et commerciales (…) peuvent bénéficier d’un crédit d’impôt au titre des dépenses de recherche qu’elles exposent au cours de l’année. Le taux du crédit d’impôt est de 30 % pour la fraction des dépenses de recherche inférieure ou égale à 100 millions d’euros (…) II. – Les dépenses de recherche ouvrant droit au crédit d’impôt sont : (…) b) Les dépenses de personnel afférentes aux chercheurs et techniciens de recherche directement et exclusivement affectés à ces opérations. Lorsque ces dépenses se rapportent à des personnes titulaires d’un doctorat, au sens de l’article L. 612-7 du code de l’éducation, ou d’un diplôme équivalent, elles sont prises en compte pour le double de leur montant pendant les vingt-quatre premiers mois suivant leur premier recrutement à condition que le contrat de travail de ces personnes soit à durée indéterminée et que l’effectif du personnel de recherche salarié de l’entreprise ne soit pas inférieur à celui de l’année précédente (…) « .
3. Il résulte de ces dispositions que les dépenses de personnel afférentes aux chercheurs et techniciens de recherche directement et exclusivement affectés aux opérations que ces dispositions mentionnent sont prises en compte, au titre du crédit d’impôt qu’elles instaurent, pour le double de leur montant, lorsqu’elles se rapportent à des personnes titulaires d’un doctorat, et ce, uniquement à compter de la date d’obtention du doctorat, si elle est postérieure à leur recrutement. Cette prise en compte ne peut en tout état de cause excéder une durée de vingt-quatre mois suivant le premier recrutement en contrat à durée indéterminée de la personne.
4. Pour juger que les deux salariés de la société Awalee Consulting au titre desquels l’administration refusait, pour le calcul du crédit impôt recherche dont elle pouvait bénéficier, le doublement des dépenses de personnel engagées, en application du b du II de l’article 244 quater B du code général des impôts au titre des années 2016 et 2017, la cour administrative d’appel de Paris s’est fondée sur ce que ces salariés n’avaient pas fait l’objet d’un premier recrutement en tant que docteur et n’avaient pas conclu de nouveau contrat de travail une fois leur titre de docteur obtenu. En statuant ainsi, alors qu’il résulte de ce qui a été dit au point 3 que cette circonstance ne pouvait faire obstacle à la prise en compte de leurs rémunérations à hauteur du double de leur montant pendant la période allant de l’obtention de leur doctorat à la fin du vingt-quatrième mois suivant leur premier recrutement en contrat à durée indéterminée, la cour a commis une erreur de droit.
5. Il résulte de tout ce qui précède que la société Awalee Consulting est fondé à demander l’annulation de l’arrêt qu’elle attaque.
6. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de régler l’affaire au fond en application des dispositions de l’articles L. 821-2 du code de justice administrative.
7. Eu égard aux moyens soulevés et au quantum de la réclamation contentieuse, la demande de la société Awalee Consulting devant le tribunal comme devant la cour doit être regardée comme portant uniquement sur les dépenses de personnel afférentes à M. B… et Mme A….
8. Il résulte de l’instruction que la société Awalee Consulting a conclu un contrat de travail à durée indéterminée avec M. B… le 14 novembre 2016, avec effet au 28 novembre 2016, et avec Mme A… le 13 mai 2016, avec effet au 14 juin 2016, les intéressés étant devenus titulaires d’un doctorat, respectivement, les 9 décembre et 23 novembre 2016. Dès lors qu’il est constant que les autres conditions prévues par le II de l’article 244 quater B du code général des impôts sont satisfaites, il résulte de ce qui a été dit au point 3 que la société Awalee peut bénéficier de la prise en compte du double des dépenses de personnel afférentes à ces deux salariés depuis la date d’obtention de leur doctorat jusqu’à la fin du vingt-quatrième mois suivant leur premier recrutement et donc, au titre du crédit d’impôt recherche des années 2016 et 2017 en litige, jusqu’au 31 décembre 2017.
9. Il résulte de ce qui précède que la société Awalee Consulting est fondée, d’une part, à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande, et, d’autre part, à demander la restitution de la différence entre le montant du crédit d’impôt recherche résultant des modalités de calcul exposées au point 8 ci-dessus et celui qu’elle a perçu au titre des dépenses de personnel relatives à M. B… et Mme A… des années 2016 et 2017.
10. En revanche, en l’absence de litige né et actuel avec le comptable chargé du recouvrement et la société requérante concernant les intérêts mentionnés à l’article L. 208 du livre des procédures fiscales, les conclusions tendant au versement d’intérêts moratoires ne sont pas recevables et ne peuvent qu’être rejetées.
(…)
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