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Prêt souscrit à titre personnel pour un apport en compte courant à sa société

CE 11 juin 2024 n° 471998 : Le conseil d'Etat juge qu 'un prêt souscrit à titre personnel par un dirigeant en vue d’un apport en compte courant à la société dans lequel il est associé ne permet pas la déductibilité

La jurisprudence admet de longue date que la déductibilité à l’impôt sur le revenu des sommes que le dirigeant salarié a versées en exécution d’un engagment de caution d’un prêt en cas de  défaillance de la société dont il est également actionnaire (CE 22 juin 1983 n° 32531). En effet, le fait de se porter caution des dettes de la société est considéré comme relevant de l’exercice normal des fonctions de dirigeant salarié, lesquelles engagent la responsabilité personnelle de celui qui les remplit.

De même, lorsque le dirigeant contracte  personnellement un emprunt bancaire en vue de mettre les fonds à la disposition de la société, notamment afin de répondre à une demande de l’établissement financier souhaitant qu’il s’implique dans le financement sur ses deniers personnels, il a été jugé que la prise en charge par la société des intérêts dus au titre de cet emprunt ne constitue pas un acte anormal de gestion ni, par suite, pour  le dirigeant, un revenu distribué entre ses mains (CE 6 février 1984 n° 20325). En revanche, il n’en va pas de même en cas de défaillance de la société : à l’inverse des règles applicables aux sommes versées dans le cadre d’un engagement de caution, le dirigeant ne peut déduire de son revenu imposable les sommes correspondant à un prêt qu’il a contracté personnellement lorsque la société n’est pas en mesure de lui restituer l’apport qu’il a effectué.

Dans l’affaire jugée par le Conseil d’Etat le 11 juin 2024, le dirigeant de deux sociétés rencontrant des difficultés de trésorerie leur a consent un apport en compte courant financé par un prêt banacaire qu’il a contracté à titre personnel. La persistance des difficultés financières a rendu impossible le remboursement de cet apport au dirigeant, et l’administration fiscale a remis en cause la déduction de son revenu imposable des sommes qu’il a acquittées en vue du remboursement du prêt.

La cour administrative d’appel de Bordeaux avait estimé que la jurisprudence relative aux engagements de caution n’était pas applicable dans la configuration de l’espèce, et jugé que la  déduction des charges de remboursement supportées par un dirigeant à raison d’emprunts souscrits personnellement et dont il a versé les fonds sur son compte courant pour assurer la solvabilité de la société est exclue, eu égard au caractère spontané de la démarche consistant à contracter un emprunt en vue de l’apport consenti aux deux sociétés.

Le Conseil d’Etat a censuré cet arrêt en tant qu’il s’est fondé sur ce critère, lié à l’intention du sosucripteur du prêt. Il a clarifié la jurisprudence en jugeant que les sommes exposées à raison du remboursement d’un prêt souscrit à titre personnel par un dirigeant aux fins de consentir un apport en compte courant à sa société ne sont pas déductibles de son revenu imposable dès lors qu’un tel apport, qu’il soit ou non spontané, le rend titulaire d’une créance sur la société et revêt donc un caractère patrimonial. Comme le souligne la rapporteure publique dans ses conclusions, cette solution se justifie par le fait que « lorsque le dirigeant rembourse lui-même l’emprunt qu’il a contracté, ou lorsque, faute de remboursement, la banque procède à une saisie sur ses revenus ou son patrimoine personnel au titre des garanties souscrites, cette opération n’a pas d’effet sur l’existence et le montant de la créance que le dirigeant conserve sur la société. Les deux créances sont distinctes, sur le plan juridique et sur le plan économique ».

Nota : La rubrique “En pratique” est conçue pour permettre aux professionnels de la fiscalité d’appréhender rapidement les conséquences pratiques d’un texte afin d’en faciliter la lecture et la mémorisation. De par sa nature, le contenu de cette rubrique peut être réducteur. De plus, elle est rédigée en simultané avec le texte principal et n’est pas mise à jour en fonction de l’évolution des textes, ni de leur interprétation par la jurisprudence ou la doctrine.

Compte tenu de la sensibilité, de la variété des situations, des enjeux et de l’évolution constante de la matière fiscale, il est recommandé aux non-spécialistes de consulter un professionnel, le plus souvent un avocat fiscaliste, pour assurer la sécurité juridique de leurs opérations. La rédaction décline toute responsabilité quant à l’application des mesures présentées dans la rubrique “En pratique”.

« 1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. M. a demandé à l’administration fiscale de prononcer le dégrèvement de la cotisation d’impôt sur le revenu à laquelle son foyer fiscal a été assujetti au titre de l’année 2013 en conséquence de l’imputation, qu’il estimait être en droit de pratiquer, sur les revenus déclarés d’une fraction, égale à trois fois sa rémunération annuelle, du produit de la cession par adjudication de la résidence secondaire qu’il possédait, perçu en garantie, à la suite d’un défaut de remboursement, par l’établissement de crédit qui lui avait accordé, en 2006 et 2007, deux prêts à titre personnel, dont il avait apporté le montant en compte courant à la société SILC dont il était l’actionnaire et le dirigeant. Par un jugement du 11 mars 2021, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté la demande de M. et Mme M. tendant, notamment, à la décharge de la cotisation d’impôt sur le revenu à laquelle ils ont été assujettis au titre de l’année 2013. Par un arrêt du 10 janvier 2023, la cour administrative d’appel de Bordeaux a rejeté l’appel qu’ils avaient formé contre ce jugement. Par une décision du 7 novembre 2023, les conclusions de leur pourvoi contre cet arrêt ont été admises en tant seulement que la cour s’est prononcée sur l’imposition de leurs revenus de l’année 2013.

2. Aux termes de l’article 13 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable à l’imposition en litige : « 1. Le bénéfice ou revenu imposable est constitué par l’excédent du produit brut, y compris la valeur des profits et avantages en nature, sur les dépenses effectuées en vue de l’acquisition et de la conservation du revenu. / 2. Le revenu global net annuel servant de base à l’impôt sur le revenu est déterminé en totalisant les bénéfices ou revenus nets visés aux I à VII bis et au 1 du VII ter de la 1re sous-section de la présente section (…) / 3. Le bénéfice ou revenu net de chacune des catégories de revenus visées au 2 est déterminé distinctement suivant les règles propres à chacune d’elles ». Aux termes de l’article 83 du même code, applicable aux traitements et salaires : « Le montant net du revenu imposable est déterminé en déduisant du montant brut des sommes payées et des avantages en argent ou en nature accordés : (…) 3° Les frais inhérents à la fonction ou à l’emploi lorsqu’ils ne sont pas couverts par des allocations spéciales (…) ».

3. Les sommes exposées à raison du remboursement d’un prêt souscrit à titre personnel par un dirigeant aux fins de consentir un apport en compte courant à sa société ne sont pas déductibles de son revenu imposable sur le fondement des dispositions citées au point 2, dès lors qu’un tel apport, qu’il soit ou non spontané, le rend titulaire d’une créance sur la société et revêt donc un caractère patrimonial.

4. Il résulte de ce qui a été dit au point 3 qu’en refusant, par une décision suffisamment motivée, exempte de dénaturation, la déduction des revenus de M. M. du produit de la cession de sa résidence secondaire, perçu par l’établissement de crédit en garantie des prêts qu’il avait souscrits aux fins de financer un apport en compte courant à la société dont il était le dirigeant, la cour, qui ne s’est pas bornée à retenir le caractère spontané de l’engagement souscrit par le contribuable mais également son caractère personnel et donc patrimonial, n’a ni commis d’erreur de droit ni inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis.

5. Il résulte de ce qui précède que M. et Mme M. ne sont pas fondés à demander l’annulation de l’arrêt qu’ils attaquent en tant qu’il s’est prononcé sur leurs conclusions relatives à l’imposition des revenus de l’année 2013 et que leur pourvoi doit être rejeté (…)».




















 

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