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Liberté de circulation des capitaux : vers une limitation de la notion de discrimination fiscale indirecte ?

Dans des conclusions publiées le 11 juillet, l’avocate générale Juliane Kokott propose une définition stricte des discriminations fiscales indirectes contraires aux libertés européennes

L’avocate générale Juliane Kokott a publié de nouvelles conclusions sur question préjudicielle posée par une juridiction polonaise (affaire C-18/23, FSA c. Dyrektor Krajowej Informacji Skarbowej) afin d’éclairer la portée de la notion de discrimination fiscale indirecte

Plus précisément, la question posée est la suivante : la libre circulation des capitaux s’oppose-t-elle à ce qu’un Etat membre exonère les fonds d’investissement gérés de manière externe, alors que les fonds gérés de manière interne – qui sont tous non-résidents – sont taxés ?

Dans ses conclusions, J. Kokott propose de juger qu’il n’y a pas de discrimination indirecte, alors même que, il y a deux ans seulement, la Cour a jugé en sens contraire dans une affaire similaire : ainsi, dans un arrêt du 7 avril 2022, Veronsaajien (C-342/20), elle a jugé qu’une exonération qui ne s’applique qu’aux fonds d’investissement constitués sous forme contractuelle, mais non à ceux créés sous forme statutaire, n’est pas compatible avec la libre circulation des capitaux, dès lors que tous les fonds imposables étaient non-résidents (le droit national n’autorisait pas la création de fonds d’investissement sous forme statutaire).

Ce faisant, l’avocate générale propose de retenir une conception stricte de la notion de discrimination fiscale indirecte, pour plusieurs motifs qu’elle détaille.

Elle rappelle certes, dans un premier temps, que la notion de discrimination indirecte est reconnue en droit de l’Union : outre les discriminations fiscales directes, « sont également interdites toutes les formes de discrimination qui, par application d’autres critères de distinction, aboutissent de facto au même résultat qu’une discrimination directe » (point 39). Elle indique aussi que « L’on est en présence d’une discrimination indirecte lorsqu’une réglementation nationale s’applique, certes, indistinctement aux opérateurs résidents et aux opérateurs non‑résidents, mais désavantage de facto les situations transfrontalières » (point 42).

Toutefois, elle ajoute que « l’esprit et la finalité de l’interdiction des discriminations indirectes plaident contre la conclusion selon laquelle l’on serait en présence d’une telle discrimination dans l’affaire au principal. En effet, la reconnaissance d’une discrimination indirecte n’a pas pour effet d’élargir le critère de discrimination, mais vise seulement à couvrir les cas de figure qui, d’un point de vue purement formel, ne constituent pas une discrimination, mais en produisent les effets. Par conséquent, il convient d’appliquer des critères stricts pour conclure à l’existence d’une discrimination indirecte » (point 41). En l’espèce, elle considère que le critère d’exonération retenu par la loi fiscale polonaise d’induit pas de discrimination indirecte dès lors, notamment, que ce critère est prévu par le droit européen financier (directive OPCVM) : « le droit de l’Union lui-même prévoit une faculté de choix quant à l’octroi d’un agrément à des fonds d’investissement gérés de manière interne ou à des fonds d’investissement gérés de manière externe » (point 46).

Plus radicalement, elle estime ensuite que « le fait d’admettre l’existence d’une discrimination indirecte en l’espèce porterait atteinte à l’autonomie fiscale de la Pologne » (point 57). Constatant que le droit de l’Union (directive OPCVM) accorde aux États membres la faculté de choisir d’autoriser dans leur législation nationale seulement des fonds d’investissement gérés manière interne ou uniquement des fonds d’investissement gérés manière externe, elle considère que « cette faculté de choix accordée par le droit dérivé serait toutefois privée d’effet si l’on retenait une conception extensive de la discrimination indirecte. Cela reviendrait à méconnaître la volonté du législateur de l’Union » (point 59). « En raison des choix opérés par la Pologne quant aux formes juridiques, il n’existe pas en l’espèce de fonds d’investissement gérés de manière interne sur le territoire national, de sorte qu’il n’y a (ou ne peut y avoir) a fortiori aucune distinction entre les fonds d’investissement nationaux gérés de manière interne et les fonds d’investissement étrangers gérés de manière interne. Le fait de vouloir en tirer une discrimination indirecte – comme souhaite, semble-t-il, le faire la Commission – va trop loin et méconnaît tant la marge de transposition que la directive 2009/65/CE a précisément accordée à la Pologne que l’autonomie fiscale des États membres en matière de fiscalité directe. En effet, cela contraindrait de fait la Pologne à autoriser la création de fonds d’investissement gérés de manière interne dans sa législation nationale. » (point 64).

Liens vers les conclusions : https://bit.ly/4bRCTzt

Nota : La rubrique “En pratique” est conçue pour permettre aux professionnels de la fiscalité d’appréhender rapidement les conséquences pratiques d’un texte afin d’en faciliter la lecture et la mémorisation. De par sa nature, le contenu de cette rubrique peut être réducteur. De plus, elle est rédigée en simultané avec le texte principal et n’est pas mise à jour en fonction de l’évolution des textes, ni de leur interprétation par la jurisprudence ou la doctrine.

Compte tenu de la sensibilité, de la variété des situations, des enjeux et de l’évolution constante de la matière fiscale, il est recommandé aux non-spécialistes de consulter un professionnel, le plus souvent un avocat fiscaliste, pour assurer la sécurité juridique de leurs opérations. La rédaction décline toute responsabilité quant à l’application des mesures présentées dans la rubrique “En pratique”.

 

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