Aller au contenu

Cessions de titres lors du départ en retraite du dirigeant : précisions nouvelles

CE, 23 juillet 2024, n° 489305 : le Conseil d’Etat apporte deux précisions inédites concernant l’imposition des plus-values de cession de valeurs mobilières, s’agissant des conséquences de la remise en cause de l’abattement de l’article 150-0 D ter du CGI et du calcul de la plus-value lorsque les titres ont été acquis pour des prix différents.

A l’occasion de cette affaire, qui portait sur la cession d’une entreprise lors du départ en retraite de son dirigeant, a donné l’occasion au Conseil d’Etat de préciser sa jurisprudence sur deux points : d’une part, la détermination du prix d’acquisition des titres pour le calcul de la plus-value de cession ; d’autre part, le traitement fiscal de la plus-value lorsque les conditions de l’abattement spécifique de l’article 150-0 D ter du CGI (abattement forfaitaire en cas de départ en retraite) ne sont pas remplies.

En l’espèce, le litige s’était noué sur la remise en cause partielle d’un abattement pour durée de détention, au motif du non-respect de la condition de durée pour certains des titres cédés. Le contribuable avait cédé en 2013, à l’occasion de son départ à la retraite, l’intégralité des titres qu’il détenait dans le capital de la société dont il était dirigeant. Il avait entendu bénéficier de l’abattement de 100 % prévu par l’article 150-0 D bis du CGI dans sa version antérieure à la loi de finances pour 2012. A l’issue d’un contrôle sur pièces, l’administration fiscale, constatant que près de la moitié des titres cédés avaient été acquis depuis moins de huit ans, a remis en cause le bénéfice de l’abattement pour la fraction de la plus-value correspondant à ces titres et déterminé le gain de cession taxable non à partir du prix effectif d’acquisition de ces titres mais en faisant application de la méthode du prix moyen pondéré d’acquisition de l’ensemble des titres.

Le contentieux initié par le contribuable avait été partiellement couronné de succès devant les juges du fond, qui avaient admis de calculer la plus-value taxable à partir du prix d’acquisition effectif des titres en cause (tout en confirmant la remise en cause du bénéfice de l’abattement pour ces titres du fait du non-respect de la condition de conservation pendant huit ans). Le Conseil d’Etat était donc saisi tant d’un pourvoi du ministre que d’un pourvoi incident du contribuable.

Dans sa décision, le Conseil d’Etat donne d’abord raison à l’administration s’agissant de la méthode de calcul du prix d’acquisition des titres : lorsque les titres ont été acquis à des prix différents, il y a lieu d’appliquer la méthode du prix moyen pondéré. Il juge ainsi que « pour le calcul du gain net de cession de titres appartenant à une série de titres de même nature acquis pour des prix différents, le prix d’acquisition à retenir est la valeur moyenne pondérée d’acquisition de ces titres », y compris dans le cas où la cession ouvre droit, en tout ou partie, à l’abattement prévu par l’article 150-0 D bis du CGI. Il fait donc droit, pour ce motif, au pourvoi du ministre et casse l’arrêt d’appel sur ce point.

Il donne en revanche gain de cause au contribuable s’agissant des conséquences du non-respect de la condition de durée de détention. Celui-ci soutenait en effet que, faute de pouvoir bénéficier des abattements applicables en cas de détention de plus de huit ans (y compris l’abattement de l’article 150-0 D ter du CGI), il pouvait au moins bénéficier des abattements de droit commun prévus par le 1 ter de l’article 150-0 D du CGI. La cour administrative d’appel avait écarté cette argumentation, en jugeant que, lorsque le contribuable entend se prévaloir des dispositions de l’article 150-0 D ter du CGI, il ne peut prétendre, à raison du gain net de cession de ceux des titres cédés qui ne satisfont pas aux conditions posées par cet article, au bénéfice d’aucun autre abattement.

Le Conseil d’Etat casse l’arrêt sur ce point, faisant droit au pourvoi incident du contribuable : il juge que « la circonstance que les conditions spécifiques auxquelles est subordonné le bénéfice de l’abattement prévu par l’article 150-0 D ter du code général des impôts en cas de cession de l’intégralité des titres détenus par un dirigeant à l’occasion de son départ à la retraite ne sont pas satisfaites ne fait pas obstacle à ce que le contribuable puisse bénéficier, à raison de la plus-value qu’il a réalisée, des abattements prévus au 1 ter l’article 150-0 D du même code lorsqu’il en remplit les conditions ».

Nota : La rubrique “En pratique” est conçue pour permettre aux professionnels de la fiscalité d’appréhender rapidement les conséquences pratiques d’un texte afin d’en faciliter la lecture et la mémorisation. De par sa nature, le contenu de cette rubrique peut être réducteur. De plus, elle est rédigée en simultané avec le texte principal et n’est pas mise à jour en fonction de l’évolution des textes, ni de leur interprétation par la jurisprudence ou la doctrine.

Compte tenu de la sensibilité, de la variété des situations, des enjeux et de l’évolution constante de la matière fiscale, il est recommandé aux non-spécialistes de consulter un professionnel, le plus souvent un avocat fiscaliste, pour assurer la sécurité juridique de leurs opérations. La rédaction décline toute responsabilité quant à l’application des mesures présentées dans la rubrique “En pratique”.

(…)

1. Il résulte des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu’à l’occasion de son départ à la retraite, M. A… a cédé le 22 mai 2013 l’intégralité des 485 titres qu’il détenait dans le capital de la société Bâtiment Etude Réalisation, dont il était le dirigeant, pour un prix global de 970 000 euros. M. A… a entendu bénéficier, en application, par renvoi du 1 du I de l’article 150-0 D ter du code général des impôts dans sa version alors en vigueur, des dispositions de l’article 150-0 D bis du même code dans leur version antérieure à la loi de finances pour 2012, d’un abattement de 100% de la plus-value réalisée à l’occasion de cette cession. A l’issue d’un contrôle sur pièces, l’administration fiscale, constatant que 220 des 485 titres cédés avaient été acquis depuis moins de huit ans, a, d’une part, remis en cause le bénéfice de l’abattement pour la fraction de la plus-value correspondant à ces 220 titres et, d’autre part, déterminé le gain de cession taxable non à partir du prix effectif d’acquisition de ces titres mais en faisant application de la méthode du prix moyen pondéré d’acquisition de l’ensemble des titres. Après avoir vainement réclamé contre les suppléments d’impôt sur le revenu mis à la charge de leur foyer fiscal, M. et Mme A… ont saisi le tribunal administratif de Melun d’une demande en décharge. Par un jugement du 2 décembre 2021, ce tribunal a partiellement accueilli leur demande en calculant la plus-value taxable à partir du prix d’acquisition effectif des 220 titres en cause mais a rejeté leur demande en tant qu’elle tendait au bénéfice de l’abattement pour durée de détention prévu au 1 ter de l’article 150-0 D du code général des impôts en cas de cession de titres détenus depuis moins de huit ans. Le ministre se pourvoit en cassation contre l’article 1er de l’arrêt du 27 septembre 2023, par lequel la cour administrative d’appel de Paris a rejeté l’appel qu’il avait formé contre ce jugement en tant qu’il lui est défavorable. Les époux A…, par la voie du pourvoi incident, demandent l’annulation de l’article 2 de ce même arrêt, par lequel la cour a rejeté l’appel qu’ils avaient formé contre le jugement, en tant qu’il a rejeté le surplus de leur demande.

Sur le cadre juridique du litige :

2. D’une part, aux termes de l’article 150-0 D ter du code général des impôts relatif aux cessions de titres par les dirigeants à l’occasion de leur départ à la retraite, dans sa rédaction applicable à la date de la cession en litige :  » I. L’abattement prévu à l’article 150-0 D bis, dans sa rédaction antérieure à l’entrée en vigueur de la loi n° 2011-1977 du 28 décembre 2011 de finances pour 2012, s’applique dans les mêmes conditions (…) aux gains nets réalisés lors de la cession à titre onéreux d’actions, de parts ou de droits démembrés portant sur ces actions ou parts, si les conditions suivantes sont remplies : / 1° La cession porte sur l’intégralité des actions, parts ou droits détenus par le cédant dans la société dont les titres ou droits sont cédés (…) « . Aux termes de l’article 150-0 D bis du même code, dans la rédaction à laquelle renvoient ces dispositions :  » I.- 1. Les gains nets mentionnés au 1 de l’article 150-0 D et déterminés dans les conditions du même article retirés des cessions à titre onéreux d’actions, de parts de sociétés ou de droits démembrés portant sur ces actions ou parts sont réduits d’un abattement d’un tiers pour chaque année de détention au-delà de la cinquième, lorsque les conditions prévues au II sont remplies. / (…) / IV.- En cas de cession de titres ou droits mentionnés au 1 du I appartenant à une série de titres ou droits de même nature, acquis ou souscrits à des dates différentes, les titres ou droits cédés sont ceux acquis ou souscrits aux dates les plus anciennes « .

3. D’autre part, aux termes de l’article 150-0 D du code général des impôts, dans sa rédaction applicable à la date de la cession en litige :  » 1. Les gains nets mentionnés au I de l’article 150-0 A sont constitués par la différence entre le prix effectif de cession des titres ou droits, net des frais et taxes acquittés par le cédant, et leur prix effectif d’acquisition par celui-ci (…) ou, en cas d’acquisition à titre gratuit, leur valeur retenue pour la détermination des droits de mutation / Les gains nets de cession (…) mentionnés au I de l’article 150-0 A (…) sont réduits d’un abattement (…) /1 ter. L’abattement mentionné au 1 est égal à : / a) 50 % du montant des gains nets ou des distributions lorsque les actions, parts, droits ou titres sont détenus depuis au moins deux ans et moins de huit ans à la date de la cession ou de la distribution ; / b) 65 % du montant des gains nets ou des distributions lorsque les actions, parts, droits ou titres sont détenus depuis au moins huit ans à la date de la cession ou de la distribution. / (..) 3. En cas de cession d’un ou plusieurs titres appartenant à une série de titres de même nature acquis pour des prix différents, le prix d’acquisition à retenir est la valeur moyenne pondérée d’acquisition de ces titres « .

4. Il résulte de ces dispositions, éclairées par les travaux préparatoires de la loi du 30 décembre 2005 de finances rectificative pour 2005 dont est issu l’article 150-0 D bis du code général des impôts dans sa rédaction citée au point 2 ci-dessus, que, pour le calcul du gain net de cession de titres appartenant à une série de titres de même nature acquis pour des prix différents, le prix d’acquisition à retenir est la valeur moyenne pondérée d’acquisition de ces titres, y compris dans le cas où la cession ouvre droit, en tout ou partie, à l’abattement prévu par ce dernier article et où la règle prévue à son IV trouve par suite à s’appliquer.

5. Il résulte en outre de ces mêmes dispositions que la circonstance que les conditions spécifiques auxquelles est subordonné le bénéfice de l’abattement prévu par l’article 150-0 D ter du code général des impôts en cas de cession de l’intégralité des titres détenus par un dirigeant à l’occasion de son départ à la retraite ne sont pas satisfaites ne fait pas obstacle à ce que le contribuable puisse bénéficier, à raison de la plus-value qu’il a réalisée, des abattements prévus au 1 ter l’article 150-0 D du même code lorsqu’il en remplit les conditions.

Sur le pourvoi du ministre :

6. La cour a jugé que la fraction de plus-value de cession mentionnée au point 1 ne pouvant, eu égard à l’insuffisante durée de détention de la partie des titres correspondante, bénéficier de l’abattement prévu par l’article 150-0 D ter du code général des impôts devait être calculée par différence entre le prix de cession de ces titres et leur prix effectif d’acquisition. Il résulte de ce qui a été dit au point 4 qu’en procédant ainsi, la cour a commis une erreur de droit. Son arrêt doit être annulé en tant qu’il rejette l’appel du ministre.

Sur le pourvoi incident de M. et Mme A… :

7. La cour a jugé que lorsque le contribuable entend se prévaloir des dispositions de l’article 150-0 D ter du code général des impôts, il ne peut prétendre, à raison du gain net de cession de ceux des titres cédés qui ne satisfont pas aux conditions posées par cet article, au bénéfice d’aucun autre abattement. En statuant ainsi, alors qu’il lui appartenait de vérifier si, ainsi qu’ils le soutenaient, les contribuables remplissaient les conditions auxquelles est subordonné le bénéficie des abattements de droit commun prévus par le 1 ter de l’article 150-0 D du code général des impôts, la cour a commis une erreur de droit. Son arrêt doit par suite être annulé en tant qu’il rejette l’appel de M. et Mme A….

 (…)



























 

Il n'y a pas encore de commentaire.


Ajouter un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *