En pratique
L’invalidité de la directive DAC 6 ne va pas au-delà de ce qu’a jugé la CJUE dans son arrêt du 8 décembre 2022.
La directive 2018/822/UE du 25 mai 2018 dite « DAC6 », modifiant la directive sur la coopération administrative entre Etats membres en matière fiscale, oblige les intermédiaires à transmettre aux autorités fiscales les informations dont ils ont connaissance, qu’ils possèdent ou qu’ils contrôlent concernant les dispositifs transfrontières en matière fiscale.
Saisie en 2020 d’une demande de suspension de la loi belge transposant la directive DAC6, la Cour constitutionnel belge a décidé d’interroger la CJUE à titre préjudiciel sur la validité de cette directive au regard du Traité sur l’UE, de la Charte des droits fondamentaux de l’UE et de la CEDH. Des observations ont été produites par le Conseil national des barreaux dans cette procédure, référencée C-623/22.
On se souvient que, dans ses conclusions, déjà signalées par Analyse Experts (cf. brève du 11 mars 2024), l’avocat général N. Emiliou avait proposé d’écarter l’ensemble des moyens d’invalidité soumis à la Cour. Dans son arrêt rendu le 29 juillet, la Cour a suivi son avocat général.
En premier lieu, la Cour valide le champ des impôts couverts par l’obligation de déclaration, contesté au regard du principe d’égalité. Les requérants contestaient le fait que cette obligation ne soit pas limitée à l’impôt sur les sociétés, mais inclue également les montages portant sur des impôts autres que l’IS (sauf TVA et accises). La Cour juge certes le grief opérant : elle rappelle que le principe d’égalité, principe général du droit de l’UE, impose que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale (point 24 de l’arrêt). Toutefois, elle considère que « les différents types d’impôts soumis à l’obligation de déclaration prévue par la directive 2011/16 modifiée relèvent de situations comparables au regard des objectifs poursuivis par cette directive » (point 33), si bien que le législateur de l’Union pouvait les traiter de la même manière. Elle relève en particulier que « rien dans le dossier dont dispose la Cour ne permet de conclure que les pratiques de planification fiscale agressive ne sont susceptibles d’être mises en œuvre que dans le domaine de l’impôt sur les sociétés, à l’exclusion du domaine des autres impôts directs, comme, par exemple, l’impôt sur le revenu applicable aux personnes physiques » (point 30).
En deuxième lieu, elle juge que les notions, utilisées par la directive, de « dispositif transfrontière », d’« intermédiaire », de « participant », d’« entreprise associée » et le « critère de l’avantage principal » sont suffisamment clairs et précis pour respecter le principe de sécurité juridique et le principe de légalité en matière pénale protégé par l’article 49 de la Charte des droits fondamentaux de l’UE (point 90).
Les motifs de l’arrêt sur ce point seront particulièrement utiles pour le praticien qui doit appliquer la directive DAC 6, car ils éclairent l’interprétation à retenir de ces termes. Ainsi, la Cour juge par exemple que « le terme « dispositif » doit se comprendre dans sa signification courante de mécanisme, d’opération, de structure, de montage, ayant pour objet, dans le contexte de la directive 2011/16 modifiée, la réalisation d’une planification fiscale » (point 49).
Ensuite, la quatrième question préjudicielle a amené la Cour à préciser la portée de son arrêt Orde van Vlaamse Balies du 8 décembre 2022, concernant le respect des secrets professionnels. Elle juge que l’invalidité de l’article 8 bis ter, paragraphe 5, de la directive DAC 6 au regard de l’article 7 de la Charte, prononcée par la Cour dans cet arrêt, « vaut seulement à l’égard des personnes qui exercent leurs activités professionnelles sous l’un des titres professionnels mentionnés à l’article 1er, paragraphe 2, sous a), de la directive 98/5 » (point 120). Elle refuse pour ce motif d’étendre aux professionnels non-avocats la solution dégagée par son arrêt de 2022, même lorsqu’ils sont tenus à un secret professionnel en vertu du droit national. Ce n’est qu’en raison de la position singulière qu’occupe la profession d’avocat au sein de l’organisation judiciaire des États membres que la Cour, dans son arrêt de 2022, a considéré que l’obligation de notification subsidiaire, lorsqu’elle est imposée à l’avocat, viole l’article 7 de la Charte.
Enfin, la Cour écarte la contestation, au regard du droit au respect de la vie privée garanti à l’article 7 de la Charte, de l’obligation déclarative mise à la charge des intermédiaires ne bénéficiant pas de la dispense mentionnée à l’article 8 bis ter, paragraphe 5, de la directive et, en l’absence d’intermédiaire soumis à l’obligation de déclaration, du contribuable concerné. Elle reconnaît d’abord que « obligation de déclaration, en ce qu’elle vise, notamment, de tels dispositifs, emporte une limitation de la liberté, pour les contribuables et les intermédiaires, d’organiser leurs activités personnelles, professionnelles et commerciales et constitue, de ce fait, une ingérence dans le droit au respect de la vie privée » (point 132). Toutefois, elle juge cette ingérence justifiée dès lors notamment que cette obligation est « de nature à permettre aux États membres de réagir rapidement contre les pratiques fiscales dommageables, fussent-elles légales, et de remédier aux disparités et aux lacunes législatives ou réglementaires susceptibles de faciliter le développement de telles pratiques » (point 142).
Au total, la Cour écarte donc l’ensemble des critiques développées par cette nouvelle question préjudicielle belge à l’encontre de la directive DAC 6.
Lien vers l’arrêt : https://bit.ly/4cHu8sc
Nota : La rubrique “En pratique” est conçue pour permettre aux professionnels de la fiscalité d’appréhender rapidement les conséquences pratiques d’un texte afin d’en faciliter la lecture et la mémorisation. De par sa nature, le contenu de cette rubrique peut être réducteur. De plus, elle est rédigée en simultané avec le texte principal et n’est pas mise à jour en fonction de l’évolution des textes, ni de leur interprétation par la jurisprudence ou la doctrine.
Compte tenu de la sensibilité, de la variété des situations, des enjeux et de l’évolution constante de la matière fiscale, il est recommandé aux non-spécialistes de consulter un professionnel, le plus souvent un avocat fiscaliste, pour assurer la sécurité juridique de leurs opérations. La rédaction décline toute responsabilité quant à l’application des mesures présentées dans la rubrique “En pratique”.
Il n'y a pas encore de commentaire.