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Retenues à la source sur dividendes : nouvelle censure par la CJUE

CJUE, 29 juillet 2024, Keva et a. : En déclarant contraire au traité une nouvelle discrimination en matière de fiscalité des dividendes, la Cour réaffirme avec force le principe de liberté de circulation des capitaux et sa ligne stricte quant aux motifs de nature à justifier une restriction à cette liberté.

Saisie d’une question préjudicielle suédoise, la CJUE était amenée à se prononcer sur une législation qui soumettait à retenue à la source les dividendes distribués par des sociétés résidentes à des institutions de retraite de droit public non-résidentes, alors que les dividendes distribués à des fonds de pension de droit public suédois étaient exonérés d’une telle retenue.

Suivant les conclusions de son avocat général Collins, signalées par Analyse Experts (cf. brève du 3 avril 2024), la Cour juge cette législation contraire à la liberté de circulation des capitaux.

En écartant un par un les arguments du gouvernement suédois, cet arrêt livre plusieurs enseignements de portée générale.

La CJUE juge d’abord que les commentaires de l’article de non-discrimination du modèle OCDE ne sont pas pertinents pour déterminer si une législation nationale restreint l’exercice d’une liberté de circulation protégée par le traité et, par suite, que ces commentaires ne pouvaient être invoqués par le Gouvernement suédois. En l’espèce, ce dernier faisait valoir que les points 10 et 12 des commentaires sur l’article 24 du modèle OCDE indiquent que le principe de non-discrimination n’implique pas qu’un État accordant des avantages fiscaux spéciaux à ses propres organismes publics soit tenu de faire bénéficier des mêmes avantages les organismes publics d’un autre État. La Cour écarte sèchement cet argument en jugeant que « À cet égard, il suffit de relever que ce gouvernement ne saurait exciper de ces points des commentaires sur l’article 24 du modèle de convention fiscale de l’OCDE aux fins d’échapper aux obligations qui lui incombent en vertu du traité » (point 48 de l’arrêt).

Ensuite, la Cour retient une conception stricte des raisons impérieuses d’intérêt général susceptibles de justifier une restriction à la liberté de circulation des capitaux.

Ainsi, elle prend une position intéressante en énonçant que « les inconvénients administratifs ne sont pas à eux seuls suffisants pour justifier un obstacle à la libre circulation des capitaux » (point 68). En l’occurrence, le gouvernement suédois faisait valoir que l’exonération des fonds de droit public résidents « permettait d’éviter une circulation en boucle inutilement lourde des ressources publiques ». Cet objectif est jugé clairement insuffisant pour justifier la différence de traitement en défaveur des dividendes versés aux fonds non-résidents.

Enfin, elle écarte l’invocation de l’objectif d’assurer une répartition équilibrée du pouvoir d’imposition, en jugeant que cet objectif ne peut pas être invoqué par un Etat membre qui a renoncé à taxer ses propres résidents : elle juge que « dès lors qu’un État membre a choisi, comme dans la situation en cause au principal, de ne pas imposer les fonds résidents sur leurs revenus d’origine nationale, il ne saurait invoquer la nécessité d’assurer une répartition équilibrée du pouvoir d’imposition entre les États membres afin de justifier l’imposition des fonds non-résidents qui perçoivent de tels revenus » (point 73).

Ces motifs éloquents viendront alimenter la réflexion sur les autres législations d’Etats membres exonérant les dividendes perçus seulement par des organismes résidents.

Nota : La rubrique “En pratique” est conçue pour permettre aux professionnels de la fiscalité d’appréhender rapidement les conséquences pratiques d’un texte afin d’en faciliter la lecture et la mémorisation. De par sa nature, le contenu de cette rubrique peut être réducteur. De plus, elle est rédigée en simultané avec le texte principal et n’est pas mise à jour en fonction de l’évolution des textes, ni de leur interprétation par la jurisprudence ou la doctrine.

Compte tenu de la sensibilité, de la variété des situations, des enjeux et de l’évolution constante de la matière fiscale, il est recommandé aux non-spécialistes de consulter un professionnel, le plus souvent un avocat fiscaliste, pour assurer la sécurité juridique de leurs opérations. La rédaction décline toute responsabilité quant à l’application des mesures présentées dans la rubrique “En pratique”.

 

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