En pratique
L’administration, même lorsqu’elle caractérise un montage artificiel, ne peut requalifier des revenus sur le fondement de l’article L. 64 du LPF si elle n’écarte aucun acte comme ne lui étant pas opposable.
Par une décision qui vient réaffirmer les principes encadrant la mise en œuvre de la répression de l’abus de droit, le Conseil d’Etat a prononcé une nouvelle fois la cassation d’un arrêt d’appel qui avait validé le redressement établi par l’administration.
En l’espèce, l’administration fiscale avait remis en cause, par application de la procédure de répression des abus de droit, le bénéfice du régime mère-fille dont BNP Paribas avait fait application aux dividendes qu’elle avait perçus de la société Bank of the West (BoW), dont des titres lui avaient été cédés par sa filiale BancWestCorporation (BWC).
Plus précisément, l’administration a considéré que ces dividendes perçus par BNP avaient en réalité la nature de produits de créances, qui ne pouvaient pas bénéficier du régime mère-fille, dès lors qu’en l’espèce BNP ne supportait aucun risque d’actionnaire. En effet, par un pacte d’actionnaires, BWC et BNP Paribas avaient convenu d’options d’achat, au bénéfice de BWC (qui pouvait ainsi récupérer ses titres à chaque date anniversaires des cessions), et de vente, au bénéfice de BNP Paribas (qui pouvait ainsi se défaire des titres, à l’échéance d’une période de 9 années, dans le cas où BWC n’aurait pas procédé au rachat des titres). Le prix d’exercice de l’option d’achat était déterminé à partir du prix initial de la cession diminué des dividendes de BoW servis à BNP Paribas, et majoré d’intérêts fixes capitalisés par trimestres.
La cour administrative d’appel avait validé le redressement au motif que les opérations en litige étaient constitutives d’un montage artificiel et devaient, par application de la procédure de répression des abus de droit, être requalifiées en opérations de pension de titres, dont la rémunération a le caractère d’un produit de créances. Pour juger en ce sens, elle relève que la société BNP Paribas ne supportait aucun risque d’actionnaire, qu’elle ne retirerait pas davantage de contrepartie substantielle de la succession d’opérations de cession et rétrocession de titres prévue par ces contrats, de ce que BWC était assurée de retrouver le contrôle intégral de sa filiale BoW, et enfin de ce que la rémunération versée à BNP Paribas, déterminée à l’avance, correspondait en réalité aux intérêts dus dans le cadre d’une opération de pension.
Le Conseil d’Etat censure cette motivation à plusieurs égards.
En premier lieu, la BNP faisait valoir, en appel, que ces dividendes ne pouvaient en tout état de cause être rattachés qu’au bénéfice de son établissement stable situé aux Etats-Unis, prêteur exerçant une activité de centrale de trésorerie, et ne pouvaient dès lors être taxés en France. Or, la cour n’avait pas répondu à ce moyen, qui n’était pas inopérant. Son arrêt est donc cassé pour insuffisance de motivation.
Ce premier motif vient rappeler que la procédure de l’abus de droit ne saurait être mobilisée lorsque le montage a permis de réduire des charges fiscales afférentes à un revenu qui n’est pas taxable en France.
En second lieu, le Conseil d’Etat pointe un vice de raisonnement dans l’arrêt : la cour avait jugé que la caractérisation d’un montage artificiel suffisait à justifier la requalification d’un revenu sur le terrain de l’abus de droit, sans que le contribuable puisse utilement se prévaloir de ce qu’aucun acte n’avait été écarté par l’administration. Or, l’objet même de l’article L. 64 du LPF est d’écarter un acte comme inopposable à l’administration.
Rappelant ces principes, le Conseil d’Etat formule un second motif de cassation, à titre surabondant. Il juge ainsi que la cour ne pouvait juger l’administration fondée à réintégrer dans les bases de l’IS dû en France par la société BNP Paribas les produits de créances qui auraient dû être comptabilisés en l’absence de montage artificiel, alors « que la simple requalification à laquelle l’administration a procédé sans écarter aucun acte n’était pas de nature à justifier la mise en œuvre des pouvoirs qu’elle tient de l’article L. 64 du livre des procédures fiscales »
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Nota : La rubrique “En pratique” est conçue pour permettre aux professionnels de la fiscalité d’appréhender rapidement les conséquences pratiques d’un texte afin d’en faciliter la lecture et la mémorisation. De par sa nature, le contenu de cette rubrique peut être réducteur. De plus, elle est rédigée en simultané avec le texte principal et n’est pas mise à jour en fonction de l’évolution des textes, ni de leur interprétation par la jurisprudence ou la doctrine.
Compte tenu de la sensibilité, de la variété des situations, des enjeux et de l’évolution constante de la matière fiscale, il est recommandé aux non-spécialistes de consulter un professionnel, le plus souvent un avocat fiscaliste, pour assurer la sécurité juridique de leurs opérations. La rédaction décline toute responsabilité quant à l’application des mesures présentées dans la rubrique “En pratique”.
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu’à la suite de vérifications de sa comptabilité, la société BNP Paribas a, notamment, été assujettie, d’une part, à des cotisations supplémentaires d’impôt sur les sociétés, de contributions additionnelles à cet impôt et de cotisation minimale de taxe professionnelle et de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises au titre des exercices clos en 2009 et 2010 résultant de la remise en cause, par application de la procédure de répression des abus de droit, du bénéfice du régime de faveur prévu aux articles 145 et 216 du code général des impôts dont elle avait fait application aux dividendes qu’elle avait perçus de la société Bank of the West, dont des titres lui avaient été cédés par sa filiale BancWestCorporation, et d’autre part, à des rappels de taxe sur la valeur ajoutée au titre de la période du 1er janvier 2009 au 31 décembre 2013 procédant de la soumission à cette taxe des commissions de succès facturées par son département » corporate finance « , que la société avait regardées comme exonérées de cette taxe en vertu du e du 1° de l’article 261 C du même code. La société se pourvoit en cassation contre l’arrêt du 14 juin 2023 par lequel la cour administrative d’appel de Paris, après avoir réduit ses bases d’imposition à l’impôt sur les sociétés, a rejeté le surplus des conclusions de l’appel qu’elle avait formé contre le jugement du 28 octobre 2021 du tribunal administratif de Montreuil en tant qu’il avait rejeté ses demandes de décharge.
Sur les conclusions du pourvoi dirigées contre l’arrêt en tant qu’il a statué sur les rehaussements opérés en matière d’impôt sur les sociétés et de contribution sur la valeur ajoutée des entreprises :
2. Aux termes de l’article L. 64 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction en vigueur à la date des exercices en litige : » Afin d’en restituer le véritable caractère, l’administration est en droit d’écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes constitutifs d’un abus de droit, soit que ces actes ont un caractère fictif, soit que, recherchant le bénéfice d’une application littérale des textes ou de décisions à l’encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n’ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d’éluder ou d’atténuer les charges fiscales que l’intéressé, si ces actes n’avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles. (…) « .
3. En vertu des dispositions combinées du 1 de l’article 38 et de l’article 209 du code général des impôts, le bénéfice imposable à l’impôt sur les sociétés est le bénéfice net, déterminé d’après les résultats d’ensemble des opérations de toute nature effectuées par les entreprises. Aux termes du premier alinéa du I de l’article 216 du même code : » Les produits nets des participations, ouvrant droit à l’application du régime des sociétés mères et visées à l’article 145, touchés au cours d’un exercice par une société mère, peuvent être retranchés du bénéfice net total de celle-ci, défalcation faite d’une quote-part de frais et charges « .
4. Enfin, en application du premier alinéa de l’article L. 432-12 du code monétaire et financier devenu, à compter du 10 janvier 2009, l’article L. 211-27 du même code, la pension de titres est définie comme l’opération par laquelle, d’une part, et moyennant un prix convenu, des titres financiers sont cédés en pleine propriété, d’autre part, le cédant et le cessionnaire s’engagent respectivement et irrévocablement, le premier à reprendre les titres, le second à les lui rétrocéder pour un prix et à une date convenus. Selon les dispositions des articles L. 432-18 et L. 432-19 du même code, reprises aux articles L. 211-32 et L. 211-33, la pension entraîne, chez le cédant, le maintien à l’actif de son bilan des titres financiers mis en pension et l’inscription au passif du bilan du montant de sa dette vis-à-vis du cessionnaire, tandis que les titres financiers reçus en pension ne sont pas inscrits au bilan du cessionnaire, qui enregistre à l’actif de son bilan le montant de sa créance sur le cédant. Aux termes de l’article L. 432-17 du même code, repris à l’article L. 211-31 : » La rémunération du cessionnaire, quelle qu’en soit la forme, constitue un revenu de créance. Elle est traitée sur le plan comptable comme des intérêts. / Lorsque la durée de la pension couvre la date de paiement des revenus attachés aux titres financiers donnés en pension, le cessionnaire les reverse au cédant qui les comptabilise parmi les produits de même nature « .
5. Il ressort des énonciations non contestées de l’arrêt attaqué que par trois actes conclus en 2002, 2005 et 2007, la société holding BancWestCorporation (BWC), immatriculée dans l’Etat du Delaware (Etats-Unis), a par trois fois cédé à la société BNP Paribas, qui la contrôlait intégralement, une part minoritaire du capital de la société Bank of the West (BoW), que BWC détenait initialement à hauteur de 100%. Le produit de ces cessions était destiné au remboursement d’un emprunt souscrit par BWC pour financer une prise de participation dans une société tierce. Par un pacte d’actionnaires, BWC et BNP Paribas ont convenu d’options d’achat, au bénéfice de BWC, et de vente, au bénéfice de BNP Paribas, la première pouvant être exercée à chaque date anniversaire des cessions, la seconde seulement à l’échéance d’une période de 9 années et dans le cas où BWC n’aurait pas procédé au rachat des titres. Le prix d’exercice de l’option d’achat était déterminé à partir du prix initial de la cession diminué des dividendes de BoW servis à BNP Paribas, et majoré d’intérêts fixes capitalisés par trimestres. Quant au prix d’exercice de l’option de vente, il correspondait au prix de l’option d’achat majoré de 45 millions de dollars.
6. La cour a jugé que, compte tenu notamment de ce que la société BNP Paribas ne supportait, en vertu des stipulations des actes juridiques conclus avec sa filiale, aucun risque d’actionnaire, et qu’elle ne retirerait pas davantage de contrepartie substantielle de la succession d’opérations de cession et rétrocession de titres prévue par ces contrats, de ce que BWC était assurée de retrouver, à l’échéance des conventions, le contrôle intégral de sa filiale BoW, et enfin de ce que la rémunération versée à BNP Paribas, déterminée à l’avance, correspondait en réalité aux intérêts dus dans le cadre d’une opération de pension, les opérations en litige étaient constitutives d’un montage artificiel et devaient, par application de la procédure de répression des abus de droit, être requalifiées en opérations de pension de titres, de sorte que la rémunération versée à la société BNP Paribas n’avait pas la nature de dividendes éligibles au régime de faveur de l’article 216 du code général des impôts, mais celle de produits de créances intégralement soumis à l’impôt sur les sociétés.
7. En déduisant de ces éléments que l’administration était fondée à réintégrer dans les bases de l’impôt sur les sociétés dû en France par la société BNP Paribas les produits de créances qui auraient dû être comptabilisés en l’absence de montage artificiel, alors au demeurant que la simple requalification à laquelle l’administration a procédé sans écarter aucun acte n’était pas de nature à justifier la mise en oeuvre des pouvoirs qu’elle tient de l’article L. 64 du livre des procédures fiscales, sans répondre au moyen, qui n’était pas inopérant compte tenu des stipulations des articles 7 et 11 de la convention fiscale conclue entre la France et les Etats-Unis, tiré par la société de ce que de tels revenus ne pouvaient en tout état de cause être rattachés qu’au bénéfice de son établissement stable situé aux Etats-Unis, prêteur exerçant une activité de centrale de trésorerie, et ne pouvaient être taxés en France, la cour a entaché son arrêt d’une insuffisance de motivation.
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