En pratique
Les assurés ne peuvent pas obtenir réparation des préjudices fiscaux résultant de la négligence des assureurs et des banques dans la gestion des contrats d’assurance-vie.
On sait qu’en vertu de l’article 757 B du CGI, seules les sommes versées après l’âge de 70 ans sur un contrat d’assurance-vie sont soumises, lors du décès de l’assuré, aux droits de succession. Les sommes versées avant cet âge sont seulement soumises au prélèvement spécial prévu par l’article 990 I du CGI, dont les taux sont plus favorables.
Dans l’affaire tranchée par la Cour de cassation le 11 septembre, l’assuré avait, par un chèque effectué et crédité par sa banque peu avant son 70e anniversaire, souhaité verser une prime sur son contrat d’assurance vie, qui n’a toutefois été prélevée par l’assureur qu’après ses 70 ans. La prime ayant été versée sur le contrat après la borne d’âge prévue par l’article 757 B, il en résulte qu’elle était soumise aux droits de succession selon les tarifs de droit commun.
Estimant que la banque et l’assureur lui avaient fait perdre, par leur négligence, la possibilité de transmettre cette somme sous le bénéfice de l’exonération prévue par l’article 757 B du CGI, l’assuré les a assignés en responsabilité pour obtenir la réparation de son préjudice.
Dans l’arrêt commenté, la Cour de cassation juge que l’assuré n’est pas recevable à agir dès lors que seuls les bénéficiaires du contrat devront acquitter les droits de succession.
Se fondant sur un raisonnement strictement fiscal, la Cour relève d’abord que les bénéficiaires sont les seuls redevables des droits, si bien que l’assuré ne peut se prévaloir d’aucun préjudice : « Le paiement des droits de mutation dûs à la suite du décès du souscripteur d’un contrat d’assurance-vie étant à la charge des seuls bénéficiaires du contrat, il ne peut en résulter aucun préjudice fiscal pour l’assuré. »
Elle ajoute que le préjudice ne pourra être établi qu’au jour du décès de l’assuré, et conclut que l’assuré, qui conserve l’intégralité des sommes placées sur le contrat qu’il a souscrit jusqu’à son décès, n’est recevable à se prévaloir d’aucun préjudice.
Cet arrêt laisse en revanche ouverte la question d’une éventuelle action en responsabilité des bénéficiaires ; il laisse toutefois entendre que cette action ne pourra en tout état de cause être introduite qu’après le décès, dès lors qu’aucun préjudice ne naît avant la liquidation des droits de succession.
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Nota : La rubrique “En pratique” est conçue pour permettre aux professionnels de la fiscalité d’appréhender rapidement les conséquences pratiques d’un texte afin d’en faciliter la lecture et la mémorisation. De par sa nature, le contenu de cette rubrique peut être réducteur. De plus, elle est rédigée en simultané avec le texte principal et n’est pas mise à jour en fonction de l’évolution des textes, ni de leur interprétation par la jurisprudence ou la doctrine.
Compte tenu de la sensibilité, de la variété des situations, des enjeux et de l’évolution constante de la matière fiscale, il est recommandé aux non-spécialistes de consulter un professionnel, le plus souvent un avocat fiscaliste, pour assurer la sécurité juridique de leurs opérations. La rédaction décline toute responsabilité quant à l’application des mesures présentées dans la rubrique “En pratique”.
Faits et procédure
1. Selon l’arrêt attaqué (Chambéry, 6 septembre 2022), le 5 mars 2016, M. [C], né le [Date naissance 1] 1946, client de la caisse régionale de Crédit agricole mutuel des Savoie (la banque), a souscrit, par l’intermédiaire de celle-ci, un contrat d’assurance vie auprès de la société Predica prévoyance dialogue du Crédit agricole (la société Predica) et a désigné ses deux petits-enfants bénéficiaires à parts égales du capital assuré en cas de décès.
2. M. [C] a effectué un versement initial de 150 000 euros au moyen d’un chèque tiré sur une autre banque.
3. Le 8 mars 2016, ce chèque a été crédité sur son compte ouvert dans les livres de la banque qui a transmis les documents à la société Predica qui a prélevé la prime le 14 mars 2016, soit après les 70 ans de M. [C].
4. Soutenant que la banque et l’assureur lui avaient fait perdre, par leur négligence, une chance de transmettre la prime versée sans droit de succession en bénéficiant de l’exonération prévue par l’article 757 B-I du code général des impôts, M. [C] les a assignées en responsabilité afin d’obtenir la réparation de son préjudice.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa deuxième branche
5. En application de l’article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n’y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui est irrecevable.
Sur le moyen, pris en ses première, troisième et quatrième branches
Enoncé du moyen
6. M. [C] fait grief à l’arrêt de rejeter l’ensemble de ses demandes formées à l’encontre de la banque et la société Predica, alors :
« 1°/ que la faute de négligence d’une banque et d’une société d’assurance tenant à ne s’être pas concertées pour qu’une prime d’assurance vie intervienne avant les 70 ans de l’adhérent, afin qu’il puisse bénéficier des dispositions fiscales avantageuses prévues par l’article 757 B1 du code général des impôts lui cause nécessairement un préjudice ; qu’en jugeant le contraire, la cour d’appel a violé l’article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 10 février 2016 ;
3°/ qu’un préjudice pouvant être invoqué du seul fait qu’une chance existait et qu’elle a été perdue, toute perte d’une chance même minime ouvre droit à réparation, pourvu qu’elle soit réelle ; qu’après avoir constaté que la banque et la société Predica avaient commis une faute de négligence en ne se concertant pas pour que le versement intervienne sur le compte de la société Predica le 11 mars 2016 au plus tard, l’arrêt attaqué, pour débouter M. [C] de l’ensemble de ses demandes, retient qu’un préjudice futur ne peut être retenu que s’il est certain qu’il se réalisera dans le délai de forclusion ou de prescription applicable et que le préjudice fiscal invoqué par M. [C] n’était pas certain dès lors qu’il ne pouvait être établi, d’une manière globale, qu’au décès de M. [C] en fonction des choix fait par ce dernier et de la législation applicable ; qu’en statuant ainsi, sans rechercher si la faute de la banque et de l’assureur n’avait pas, à tout le moins, privé M. [C] d’une chance de ne pas voir soumise aux droits de mutation une partie importante de la prime qu’il avait versée sur le compte Predica et si cette perte de chance n’était pas indemnisable en tant que telle, la cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision au regard de l’article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 10 février 2016 ;
4°/ subsidiairement, que le préjudice consécutif à la perte d’une chance implique seulement la privation d’une potentialité présentant un caractère de probabilité raisonnable et non un caractère certain ; qu’après avoir constaté que la banque et la société Predica avaient commis une faute de négligence en ne se concertant pas pour que le versement intervienne sur le compte de la société Predica le 11 mars 2016 au plus tard, l’arrêt attaqué, pour débouter M. [C] de l’ensemble de ses demandes, relève que M. [C] n’est pas en mesure de justifier que le contrat existera au jour de son décès, puisqu’il dispose d’une faculté de rachat, qu’il n’est pas non plus établi que l’assurance-vie serait la seule possibilité de transmettre ses biens en exonération de droits de mutation, et que le préjudice fiscal invoqué n’était pas certain dès lors qu’il ne pourrait être établi, d’une manière globale, qu’au décès de M. [C] en fonction des choix fait par ce dernier et de la législation applicable ; qu’en statuant ainsi, quand il suffisait pour qu’elle soit réparable que la chance perdue par M. [C] de ne pas voir soumise aux droits de mutation une partie importante de la prime versée sur le compte Predica ait présenté un caractère de probabilité raisonnable, la cour d’appel, qui a exigé que cette potentialité ait présenté un caractère certain, a violé l’article 1147 du code civil pris dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 10 février 2016. »
Réponse de la Cour
7. Le paiement des droits de mutation dûs à la suite du décès du souscripteur d’un contrat d’assurance-vie étant à la charge des seuls bénéficiaires du contrat, il ne peut en résulter aucun préjudice fiscal pour l’assuré.
8. Dès lors que le préjudice fiscal allégué résultant de la soumission aux droits de mutation sans l’exonération escomptée d’une partie importante de la prime versée sur le contrat d’assurance-vie ne pourra être établi qu’au jour du décès de l’assuré et que ce sont les bénéficiaires du contrat qui seront redevables des droits à payer, ce préjudice n’est pas personnel à M. [C] qui conserve l’intégralité des sommes placées sur le contrat souscrit jusqu’à son décès et qui n’est donc pas recevable à s’en prévaloir.
9.
Par ces motifs de pur droit, substitués à ceux critiqués, dans les conditions prévues par les articles 620, alinéa 1er, et 1015 du code de procédure civile, la décision attaquée se trouve légalement justifiée.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi
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