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Cessions d’usufruits temporaires : précisions inédites

CE, 9 octobre 2024, n° 490685 : le Conseil d’Etat donne une portée large à la règle dérogatoire d’imposition des gains issus de la première cession d’un usufruit temporaire, issue d’une LFR de 2012.

On sait que, dans un objectif de lutte contre certaines opérations visant à contourner le barème progressif de l’impôt sur le revenu, la loi du 29 décembre 2012 de finances rectificative pour 2012 a prévu une règle d’imposition spéciale applicable aux cessions d’usufruit temporaire : les plus-values résultant de la première cession d’un tel usufruit sont imposables non pas selon les règles de droit commun des plus-values (immobilières ou mobilières), mais selon les règles applicables aux revenus générés par le bien grevé de l’usufruit (revenus fonciers ou revenus de capitaux mobiliers).

Ainsi, selon cette disposition, codifiée au 1° du 5 de l’article 13 du CGI, la plus-value résultant de la première cession d’un même usufruit temporaire (ou, si elle est supérieure, la valeur vénale de cet usufruit temporaire) est imposable au nom du cédant, personne physique ou société de personnes, dans la catégorie de revenus à laquelle se rattache, au jour de la cession, le bénéfice ou revenu procuré ou susceptible d’être procuré par le bien ou le droit sur lequel porte l’usufruit temporaire cédé.

Dans l’affaire tranchée par le Conseil d’Etat le 9 octobre, se posait une question inédite quant à la désignation de la « première » cession et, partant, au champ des cessions relevant de cette règle spéciale.

En l’espèce, une SCI avait d’abord, en 2004, cédé temporairement l’usufruit d’un bien immobilier jusqu’à 2015 à une autre société puis, en 2015, avait cédé temporairement l’usufruit du même bien à la même société pour la période allant jusqu’à 2021. Son associé majoritaire et gérant avait déclaré la plus-value de cession réalisée en 2015 dans la catégorie des plus-values immobilières, en considérant que la cession réalisée en 2015 n’était pas la « première » cession de cet usufruit puisqu’elle venait proroger la cession temporaire effectuée en 2004. A la suite d’une vérification de comptabilité de cette société, l’administration a toutefois estimé que cette plus-value relevait de la règle spéciale issue de la LFR de 2012 et l’a imposée dans la catégorie des revenus fonciers. Les juges de première instance et d’appel avaient confirmé ce redressement.

Le Conseil d’Etat confirme lui aussi le redressement.

Se fondant sur les travaux préparatoires de la LFR du 29 décembre 2012, il juge d’abord que le législateur a entendu prévoir des règles d’assiette dérogatoires applicables, « à toute première cession d’un même usufruit temporaire, laquelle s’entend de la constitution initiale d’un usufruit à titre onéreux portant sur un bien donné et pour une période donnée à l’exclusion d’une éventuelle cession de ce même usufruit par l’usufruitier à une autre personne ». Il ajoute que « Sont à cet égard dépourvues d’incidence les circonstances que cette première cession fasse suite à une précédente cession d’un usufruit temporaire portant sur le même bien au titre d’une période antérieure et que les parties au contrat l’aient qualifiée de prorogation. »

Ainsi, selon le Conseil d’Etat, même lorsque le bien a déjà fait l’objet d’une cession d’usufruit temporaire pour une première période, la nouvelle cession d’un usufruit temporaire portant sur le même bien réalisée après cette première période doit être regardée comme une « première » cession d’un usufruit temporaire. Seules les cessions réalisées par l’usufruitier, au cours de la période où il est titulaire de l’usufruit, ne sont pas regardées comme la « première » cession.

Faisant application de cette nouvelle interprétation jurisprudentielle, le Conseil d’Etat en déduit que les juges d’appel ont pu considérer, à bon droit, que la cession de 2015, quand bien même elle faisait suite à la cession à cette même société, en 2004, d’un usufruit portant sur le même ensemble immobilier pour la période de 2004 à 2015, avait la nature d’une première cession d’un usufruit temporaire entrant dans le champ des dispositions du 1° du 5 de l’article 13 du CGI.

A noter que, même si la décision est rendue en l’espèce s’agissant de l’usufruit d’un immeuble, elle paraît transposable à l’usufruit de tout autre bien, en particulier des titres.

Nota : La rubrique “En pratique” est conçue pour permettre aux professionnels de la fiscalité d’appréhender rapidement les conséquences pratiques d’un texte afin d’en faciliter la lecture et la mémorisation. De par sa nature, le contenu de cette rubrique peut être réducteur. De plus, elle est rédigée en simultané avec le texte principal et n’est pas mise à jour en fonction de l’évolution des textes, ni de leur interprétation par la jurisprudence ou la doctrine.

Compte tenu de la sensibilité, de la variété des situations, des enjeux et de l’évolution constante de la matière fiscale, il est recommandé aux non-spécialistes de consulter un professionnel, le plus souvent un avocat fiscaliste, pour assurer la sécurité juridique de leurs opérations. La rédaction décline toute responsabilité quant à l’application des mesures présentées dans la rubrique “En pratique”.

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu’à la suite d’une vérification de comptabilité de la société civile immobilière (SCI) Tam-Tam, dont M. A… B… était le gérant et dont il détenait 98 % des parts, l’administration a assujetti ce dernier à des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu et de contributions sociales au titre de l’année 2015, procédant de la taxation dans la catégorie des revenus fonciers, et non selon les règles des plus-values immobilières appliquées par l’intéressé dans sa déclaration, de la quote-part correspondant à ses droits dans la société Tam-Tam du gain résultant de la cession, par acte du 26 août 2015, par cette société à la société à responsabilité limitée (SARL) Tab 48, dont M. B… détenait 90 % des parts, d’un usufruit temporaire portant sur un ensemble immobilier. Par un jugement du 12 janvier 2021, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté la demande de M. B… tendant à la décharge de ces impositions supplémentaires. Il se pourvoit en cassation contre l’arrêt du 9 novembre 2023 par lequel la cour administrative d’appel de Nancy a rejeté l’appel qu’il avait formé contre ce jugement.

2. Aux termes du 1° du 5 de l’article 13 du code général des impôts, applicable aux cessions à titre onéreux d’un usufruit temporaire intervenues à compter du 14 novembre 2012 en vertu du II de l’article 15 de la loi du 29 décembre 2012 de finances rectificative pour 2012 :  » (…) par dérogation aux dispositions du présent code relatives à l’imposition des plus-values, le produit résultant de la première cession à titre onéreux d’un même usufruit temporaire ou, si elle est supérieure, la valeur vénale de cet usufruit temporaire est imposable au nom du cédant, personne physique ou société ou groupement qui relève des articles 8 à 8 ter, dans la catégorie de revenus à laquelle se rattache, au jour de la cession, le bénéfice ou revenu procuré ou susceptible d’être procuré par le bien ou le droit sur lequel porte l’usufruit temporaire cédé (…) « .

3. Il résulte de ces dispositions, éclairées par les travaux préparatoires de la loi du 29 décembre 2012 de finances rectificative pour 2012 dont elles sont issues, que le législateur a entendu prévoir des règles d’assiette dérogatoires applicables, à compter du 14 novembre 2012, à toute première cession d’un même usufruit temporaire, laquelle s’entend de la constitution initiale d’un usufruit à titre onéreux portant sur un bien donné et pour une période donnée à l’exclusion d’une éventuelle cession de ce même usufruit par l’usufruitier à une autre personne. Sont à cet égard dépourvues d’incidence les circonstances que cette première cession fasse suite à une précédente cession d’un usufruit temporaire portant sur le même bien au titre d’une période antérieure et que les parties au contrat l’aient qualifiée de prorogation.

4. Par suite, la cour n’a pas commis d’erreur de droit ni inexactement qualifié les faits de l’espèce en jugeant que l’acte du 26 août 2015 portant cession par la SCI Tam-Tam à la SARL Tab 48, pour la période du 1er septembre 2015 au 31 août 2021, en contrepartie de la somme de 120 000 euros, d’un usufruit portant sur l’ensemble immobilier appartenant à la première, quand bien même il faisait suite à la cession à cette même société, par acte du 1er septembre 2004, d’un usufruit portant sur le même ensemble immobilier pour la période du 1er septembre 2004 au 31 août 2015, avait la nature d’une première cession d’un usufruit temporaire entrant dans le champ des dispositions du 1° du 5 de l’article 13 du code général des impôts.

5. Il résulte de ce qui précède que M. B… n’est pas fondé à demander l’annulation de l’arrêt qu’il attaque.





















 

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