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Pénalités pour manquement délibéré d’une société

CE, 25 octobre 2024, n° 473809, ministre c. SCI Les Peupliers : le Conseil d’Etat clarifie sa jurisprudence sur la répression fiscale des sociétés en admettant que l’administration justifie la pénalité pour manquement délibéré infligée à une société par le seul fait que son dirigeant avait connaissance du manquement.

Par une décision rendue le 25 octobre, le Conseil d’Etat a précisé les modalités selon lesquelles l’administration peut apprécier la bonne foi d’une société pour prononcer, le cas échéant, une pénalité pour manquement délibéré à son encontre.

En l’espèce, une SCI assujettie à la TVA avait fait l’objet d’une vérification de comptabilité à l’occasion de laquelle l’administration avait remis en cause la déductibilité de la TVA afférente à plusieurs factures. Ces rappels de taxe avaient été assortis de la majoration de 40 % pour manquement délibéré prévue à l’article 1729 du CGI, l’administration ayant considéré que le gérant de la SCI, qui était aussi le dirigeant et unique associé de la société émettrice des factures, ne pouvait ignorer l’irrégularité des déductions de taxe opérées, dès lors que la société émettrice avait elle-même fait l’objet d’un contrôle fiscal ayant donné lieu à des rappels analogues de TVA.

Le juge d’appel a prononcé la décharge de l’amende, en considérant que la preuve de la mauvaise foi n’était pas apportée : la cour administrative d’appel de Douai a jugé que ces seuls éléments, se limitant à imputer à cette société des manquements reprochés, en réalité, à son gérant, sans alléguer que ceux-ci procéderaient de manquements répétés imputables à la société, ne permettaient pas à l’administration d’apporter la preuve, qui lui incombe, de l’intention délibérée d’éluder l’impôt de la société Les Peupliers.

Le Conseil d’Etat censure ce raisonnement et casse l’arrêt pour erreur de droit.

Il juge d’abord, par un considérant de principe inédit que : « Tant le principe de responsabilité personnelle que le principe de personnalité des peines s’opposent à ce que des pénalités fiscales, qui présentent le caractère d’une punition tendant à empêcher la réitération des agissements qu’elles visent, puissent être prononcées à l’encontre de contribuables lorsque ceux-ci n’ont pas participé aux agissements que ces pénalités répriment. Toutefois, ces principes ne s’opposent pas, pour l’appréciation du caractère délibéré du manquement reproché à une personne morale, à ce qu’il soit tenu compte de la connaissance que son dirigeant peut avoir des règles fiscales dont la méconnaissance est sanctionnée ainsi que des faits caractérisant un manquement à ces règles ».

Faisant application de ces principes au cas d’espèce, il juge qu’il était loisible à l’administration, pour établir le caractère intentionnel du manquement reproché à la SCI, de se fonder sur la connaissance que peut avoir son gérant de ce manquement. Il ajoute qu’il en va ainsi « y compris lorsque cette connaissance résulte d’actions entreprises ou d’informations recueillies par ce gérant agissant en une autre qualité, comme celle de gérant d’une autre société ».

Nota : La rubrique “En pratique” est conçue pour permettre aux professionnels de la fiscalité d’appréhender rapidement les conséquences pratiques d’un texte afin d’en faciliter la lecture et la mémorisation. De par sa nature, le contenu de cette rubrique peut être réducteur. De plus, elle est rédigée en simultané avec le texte principal et n’est pas mise à jour en fonction de l’évolution des textes, ni de leur interprétation par la jurisprudence ou la doctrine.

Compte tenu de la sensibilité, de la variété des situations, des enjeux et de l’évolution constante de la matière fiscale, il est recommandé aux non-spécialistes de consulter un professionnel, le plus souvent un avocat fiscaliste, pour assurer la sécurité juridique de leurs opérations. La rédaction décline toute responsabilité quant à l’application des mesures présentées dans la rubrique “En pratique”.

1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que la société civile immobilière (SCI) Les Peupliers, qui a opté pour l’impôt sur les sociétés et est assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée, a fait l’objet d’une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er juillet 2009 au 30 juin 2012, à l’issue de laquelle des rappels de taxe sur la valeur ajoutée et des suppléments d’impôt sur les sociétés lui ont été assignés, respectivement, au titre de cette même période et des exercices clos les 30 juin 2010 et 2011. Les droits ont été assortis de la majoration de 40 % prévue, en cas de manquement délibéré, par le a de l’article 1729 du code général des impôts. Par un arrêt du 2 mars 2023, la cour administrative d’appel de Douai a, d’une part, annulé le jugement du 1er avril 2021 par lequel le tribunal administratif de Lille avait prononcé la décharge de l’impôt sur les sociétés de l’exercice 2012 et de la taxe sur la valeur ajoutée afférents à une facture de 30 387 euros émise par la société Flandres Travaux et à deux factures de 15 000 euros émises par la société GTDR, ainsi que des pénalités correspondantes, et, d’autre part, remis ces impositions à la charge de la société Les Peupliers, à l’exception de l’impôt sur les sociétés relatif aux factures de 15 000 euros émises par la société GTDR, de la taxe sur la valeur ajoutée relative à l’une de ces deux factures et de la totalité de la majoration pour manquement délibéré. Le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique se pourvoit en cassation contre cet arrêt, d’une part, en tant qu’il n’a pas rétabli la taxe sur la valeur ajoutée mise à la charge de la société à raison d’une des deux factures de 15 000 euros et, d’autre part, en tant qu’il a prononcé la décharge de la majoration pour manquement délibéré.

2. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond, et en particulier des mentions figurant dans la réponse aux observations du contribuable du 6 décembre 2013, que si l’administration a abandonné, à ce stade de la procédure, les rectifications d’impôt sur les sociétés afférentes aux deux factures n° 120526 du 30 mai 2012 et 120527 du 30 juin 2012 de 15 000 euros émises par la société GTDR, elle a maintenu, en revanche, le rappel de taxe sur la valeur ajoutée déductible sur la facture n° 120526 du fait que celle-ci n’avait fait l’objet d’aucun règlement. Il s’ensuit que, si la cour a pu relever, par des énonciations exemptes de dénaturation, au point 12 de son arrêt, que l’administration avait abandonné, dans sa réponse aux observations du contribuable, les rectifications d’impôt sur les sociétés afférentes à ces deux factures et maintenu le rappel de taxe sur la valeur ajoutée déductible sur l’une des deux, elle a entaché son arrêt d’une contradiction de motifs en jugeant, au point 17, que les suppléments d’impôt sur les sociétés résultant de la remise en cause de la déductibilité, en tant que charges, des deux factures de 15 000 euros hors taxes émises par la société GTDR et de la taxe sur la valeur ajoutée ayant grevé l’une de ces factures n’étaient plus en litige, et en en déduisant que les impositions dont la décharge avait été prononcée par le tribunal devaient être remises à la charge de la société Les Peupliers, à l’exception du rappel de taxe sur la valeur ajoutée relatif à l’une des factures de 15 000 euros.

3. En second lieu, aux termes de l’article 1729 du code général des impôts :  » Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l’indication d’éléments à retenir pour l’assiette ou la liquidation de l’impôt ainsi que la restitution d’une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l’Etat entraînent l’application d’une majoration de : / a. 40 % en cas de manquement délibéré (…) « .

4. Tant le principe de responsabilité personnelle que le principe de personnalité des peines s’opposent à ce que des pénalités fiscales, qui présentent le caractère d’une punition tendant à empêcher la réitération des agissements qu’elles visent, puissent être prononcées à l’encontre de contribuables lorsque ceux-ci n’ont pas participé aux agissements que ces pénalités répriment. Toutefois, ces principes ne s’opposent pas, pour l’appréciation du caractère délibéré du manquement reproché à une personne morale, à ce qu’il soit tenu compte de la connaissance que son dirigeant peut avoir des règles fiscales dont la méconnaissance est sanctionnée ainsi que des faits caractérisant un manquement à ces règles.

5. Après avoir relevé que le ministre soutenait notamment que le gérant de la société Les Peupliers, qui était aussi le dirigeant et l’unique associé de la société GTDR, ne pouvait ignorer, dès lors que cette dernière société avait elle-même fait l’objet d’un contrôle fiscal ayant donné lieu à des rappels analogues de taxe sur la valeur ajoutée, que les déductions opérées par la société Les Peupliers n’étaient pas conformes aux dispositions du code général des impôts, la cour a jugé que ces seuls éléments, se limitant à imputer à cette société des manquements reprochés, en réalité, à son gérant, sans invoquer l’importance des rehaussements maintenus, ni alléguer que ceux-ci procéderaient de manquements répétés imputables à la société, ne permettaient pas à l’administration d’apporter la preuve, qui lui incombe, de l’intention délibérée d’éluder l’impôt de la société Les Peupliers. En statuant ainsi, alors qu’il résulte de ce qui a été dit au point 4 qu’il est loisible à l’administration, pour établir le caractère intentionnel du manquement reproché à une société, de se fonder sur la connaissance que peut avoir son gérant de ce manquement, y compris lorsque cette connaissance résulte d’actions entreprises ou d’informations recueillies par ce gérant agissant en une autre qualité, comme celle de gérant d’une autre société, la cour a commis une erreur de droit.

6. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique est fondé à demander l’annulation de l’article 3 de l’arrêt qu’il attaque, en tant qu’il rejette les conclusions de sa requête d’appel tendant à ce que soient remis à la charge de la société Les Peupliers, d’une part, le rappel de taxe sur la valeur ajoutée en droits et intérêts au titre de la période du 1er juillet 2011 au 30 juin 2012 correspondant à la remise en cause du droit à déduction de la taxe ayant grevé la facture de 15 000 euros HT émise le 31 mai 2012 par la société GTDR et, d’autre part, la majoration pour manquement délibéré dont les suppléments d’impôt sur les sociétés et les rappels de taxe sur la valeur ajoutée en litige ont été assortis.





















 

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