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Management package et prélèvement à la source

CE, 25 octobre 2024, n° 490089 : le Conseil d’Etat juge que les rémunérations reçues par un dirigeant en sus de son salaire, à raison de ses fonctions, ne constituent pas en principe un revenu exceptionnel et bénéficient par suite du crédit d’impôt de modernisation du recouvrement (« année blanche »).

La décision rendue par le Conseil d’Etat le 25 octobre invalide les redressements par lesquels l’administration a entendu imposer, en tant que revenus exceptionnels, les gains de management package réalisés lors de l’ « année blanche » du prélèvement à la source (2018).

En l’espèce, le contribuable, directeur financier d’une société, s’était vu attribuer en 2013, dans le cadre d’un plan d’intéressement des managers à la performance, des « unités de performance future indexées » (UPFI), lui permettant de bénéficier en mars 2018 du versement d’une somme dépendant de sa performance afférente au premier semestre 2016, du cours boursier de la société et du montant total des dividendes qu’elle a versés au cours de la période de mars 2016 à mars 2018. L’intéressé a porté cette somme, s’élevant en l’espèce à plus de 500 000 euros, sa déclaration de revenus au titre de l’année 2018 en tant que salaire de nature exceptionnelle. Il a toutefois précisé, par une mention expresse, que ce revenu constituait à ses yeux un revenu non exceptionnel, éligible au crédit d’impôt de modernisation du recouvrement (CIMR). Par une réclamation, il a ensuite sollicité la restitution de l’impôt sur le revenu à raison de ce gain.

Les juges du fond ont suivi l’administration en rejetant sa demande de décharge. Ainsi, la cour administrative de Douai a jugé que la somme perçue en 2018 présentait un caractère exceptionnel vu son importance, son versement en un paiement unique, et au regard de la circonstance que l’application de ce plan d’intéressement n’avait pas, au cours des années précédentes, conduit directement à des versements en numéraire.

De manière inédite, le Conseil d’Etat donne raison au contribuable. Il juge, par un nouveau considérant de principe, que « les avantages perçus par un dirigeant ou un salarié, en sus de son salaire, et qui trouvent essentiellement leur source dans l’exercice de ses fonctions, ne sont pas, quelle que soit la forme contractuelle ayant prévu leur versement, insusceptibles par nature d’être recueillis annuellement, sauf à ce que des circonstances singulières conduisent à les regarder comme constituant en réalité un revenu exceptionnel au titre de l’année en cause ».

Ainsi, il pose le principe selon lequel les gains non salariaux, attribués à raison des fonctions du manager, constituent un revenu non exceptionnel, éligible en tant que tel au CIMR. Il assortit toutefois ce principe d’une exception qui pourra être mobilisée par l’administration en présence de « circonstances singulières » qui conduisent à regarder le gain comme un revenu exceptionnel.

Le Conseil d’Etat en déduit la cassation de l’arrêt d’appel : il juge que la cour s’est fondée sur des critères inopérants, tenant au montant des revenus perçus et au caractère unique du versement, alors qu’elle aurait dû rechercher si, par leur nature et dans les circonstances de l’espèce, ces revenus devaient être regardés comme insusceptibles d’être recueillis annuellement.

Nota : La rubrique “En pratique” est conçue pour permettre aux professionnels de la fiscalité d’appréhender rapidement les conséquences pratiques d’un texte afin d’en faciliter la lecture et la mémorisation. De par sa nature, le contenu de cette rubrique peut être réducteur. De plus, elle est rédigée en simultané avec le texte principal et n’est pas mise à jour en fonction de l’évolution des textes, ni de leur interprétation par la jurisprudence ou la doctrine.

Compte tenu de la sensibilité, de la variété des situations, des enjeux et de l’évolution constante de la matière fiscale, il est recommandé aux non-spécialistes de consulter un professionnel, le plus souvent un avocat fiscaliste, pour assurer la sécurité juridique de leurs opérations. La rédaction décline toute responsabilité quant à l’application des mesures présentées dans la rubrique “En pratique”.

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. A… a bénéficié d’un dispositif instauré par une délibération du 6 mars 2013 du conseil d’administration de la société anonyme Legrand, au sein de laquelle il occupe les fonctions de directeur financier, consistant en l’attribution de droits, dénommés unités de performance future indexées (UPFI), permettant aux membres du personnel concernés, sous réserve d’une condition de présence à la date du 6 mars 2016, de bénéficier, le 8 mars 2018, du versement d’une somme, dépendant de conditions de performance évaluées au premier semestre de l’année 2016 et du cours boursier des actions de la société Legrand observé à une date, choisie par chaque bénéficiaire concerné, comprise entre le 7 mars 2016 et le 7 mars 2018, majorée de l’équivalent du montant des dividendes par actions versés par cette société au cours de cette même période. En application de ce dispositif, M. A… a perçu en mars 2018 une somme de 516 273 euros. M. A… et Mme B… ont porté cette somme, nette d’un montant de contribution sociale généralisée déductible de 35 092 euros, sur la déclaration de revenus qu’ils ont souscrite au titre de l’année 2018, dans la rubrique réservée aux  » salaires de nature exceptionnelle « . Ils ont toutefois accompagné cette inscription d’une mention expresse, précisant que le revenu en cause constituait, à leurs yeux, un revenu de nature non exceptionnelle éligible au crédit d’impôt pour la modernisation du recouvrement (CIMR) instauré par l’article 60 de la loi du 29 décembre 2016 de finances pour 2017, puis formé une réclamation en vue de la prise en compte de cette somme pour le calcul de ce crédit d’impôt. M. A… et Mme B… se pourvoient en cassation contre l’arrêt du 12 octobre 2023 par lequel la cour administrative d’appel de Douai a rejeté leur appel dirigé contre le jugement du 1er mars 2022 du tribunal administratif de Rouen ayant rejeté leurs conclusions tendant à la réévaluation du CIMR applicable à leurs revenus au titre de l’année 2018, et à la réduction, en conséquence, de leurs cotisations d’impôt sur le revenu au titre de cette même année.

2. Aux termes du II de l’article 60 de la loi du 29 décembre 2016 de finances pour 2017 :  » II. – A. – Les contribuables bénéficient, à raison des revenus non exceptionnels entrant dans le champ du prélèvement mentionné à l’article 204 A du code général des impôts, tel qu’il résulte de la présente loi, perçus ou réalisés en 2018, d’un crédit d’impôt modernisation du recouvrement destiné à assurer, pour ces revenus, l’absence de double contribution aux charges publiques en 2019 au titre de l’impôt sur le revenu. / B. – Le crédit d’impôt prévu au A du présent II est égal au montant de l’impôt sur le revenu dû au titre de l’année 2018 résultant de l’application des règles prévues aux 1 à 4 du I de l’article 197 du code général des impôts ou, le cas échéant, à l’article 197 A du même code multiplié par le rapport entre les montants nets imposables des revenus non exceptionnels mentionnés au 1 de l’article 204 A dudit code, les déficits étant retenus pour une valeur nulle, et le revenu net imposable au barème progressif de l’impôt sur le revenu, hors déficits, charges et abattements déductibles du revenu global. (…) / C. – Sont pris en compte au numérateur du rapport prévu au B du présent II, pour le calcul du crédit d’impôt prévu au A, les montants nets imposables suivant les règles applicables aux salaires, aux pensions ou aux rentes viagères, à l’exception : (…) 13° Des gratifications surérogatoires, qui s’entendent des gratifications accordées sans lien avec le contrat de travail ou le mandat social ou allant au-delà de ce qu’ils prévoient, quelle que soit la dénomination retenue ;/ 14° Des revenus qui correspondent par leur date normale d’échéance à une ou plusieurs années antérieures ou postérieures ; / 15° De tout autre revenu qui, par sa nature, n’est pas susceptible d’être recueilli annuellement ; (…) « .

3. Pour l’application des dispositions du 15° du C du II de cet article 60, les avantages perçus par un dirigeant ou un salarié, en sus de son salaire, et qui trouvent essentiellement leur source dans l’exercice de ses fonctions, ne sont pas, quelle que soit la forme contractuelle ayant prévu leur versement, insusceptibles par nature d’être recueillis annuellement, sauf à ce que des circonstances singulières conduisent à les regarder comme constituant en réalité un revenu exceptionnel au titre de l’année en cause.

4. Après avoir relevé, d’une part, l’importance des sommes reçues par M. A… sous la forme d’un paiement unique, en 2018, correspondant à l’intégralité des droits qu’il avait acquis en application du plan d’attribution d’unités de performance future indexées mis en place en 2013 par la société Legrand, et, d’autre part, la circonstance que, si M. A… avait bénéficié de dispositifs d’association à la performance aux cours des années précédentes, ces derniers n’avaient pas conduit directement à des versements en numéraire comme cela avait été le cas en 2018, la cour administrative d’appel a jugé que les sommes en litige entraient dans le champ des revenus exceptionnels mentionnés au 15° du C du II de l’article 60 de la loi du 29 décembre 2016. En se fondant ainsi sur des critères inopérants, tenant au montant des revenus perçus et au caractère unique, à le supposer même établi en fait, du versement, sans rechercher si, par leur nature et dans les circonstances de l’espèce, ces derniers devaient être regardés comme insusceptibles d’être recueillis annuellement, la cour a commis une erreur de droit.

5. Il résulte de ce qui précède que, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de leur pourvoi, M. A… et Mme B… sont fondés à demander l’annulation de l’arrêt qu’ils attaquent.























 

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