Dispositif Dutreil : quelles conséquences de la jurisprudence récente ?
Réflexion prospective (1/3) : article ci-dessous
Réflexion prospective 2/3 : Régime Dutreil réputé acquis
Réflexion prospective 3/3 : Dutreil : titres susceptibles d’être exonérés
Au cours de la période récente, les juridictions judiciaires ont rendu plusieurs arrêts importants sur le dispositif « Dutreil ». Si certains d’entre eux semblent trancher des questions ponctuelles, ils sont toutefois révélateurs de la manière dont le juge interprète plus globalement l’article 787 B du CGI. Par ailleurs, certains litiges relatifs à l’ancienne exonération ISF-Dutreil ou à celle des biens professionnels, tranchés récemment par la Cour de cassation, sont riches d’enseignement pour l’exonération de droits de mutation. Ces arrêts invitent donc à s’interroger sur leurs conséquences indirectes sur les conditions de bénéfice du dispositif. C’est l’objet des lignes qui suivent, qui engagent une réflexion qui sera approfondie lors de la conférence du 27 mars.
Les termes du débat sur ce point sont rebattus par deux arrêts rendus par la Chambre commerciale le 13 mars 2024 et la cour d’appel de Versailles le 12 mars 2024.
Dans le premier arrêt, la Cour de cassation a apporté des précisions quant à l’appréciation du caractère principal de l’activité éligible, en l’espèce pour le bénéfice de l’exonération « Dutreil » applicable en matière d’ISF jusque 2017 – ces précisions paraissent toutefois transposables à l’exonération Dutreil de DMTG. Dans les deux cas, le dispositif ne s’applique que lorsque l’engagement de conservation souscrit par le contribuable porte sur des titres d’une société « ayant une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale » et la jurisprudence constante, adoubée depuis peu par le législateur, exige que l’activité principale de la société puisse être qualifiée comme telle.
Pour déterminer si l’activité éligible (par exemple commerciale) peut être qualifiée de principale, et donc si l’avantage fiscal s’applique, la jurisprudence consacre la méthode du faisceau d’indices : elle retient que la prépondérance de l’activité s’apprécie « en considération d’un faisceau d’indices déterminés d’après la nature de l’activité et les conditions de son exercice ».
Rares étaient toutefois jusqu’ici les indications sur les indices pertinents à retenir.
On se souvient que la doctrine administrative exigeait initialement le respect de deux critères cumulatifs, tenant à la prépondérance dans le chiffre d’affaires et dans l’actif brut (BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10, § 20), avant que le Conseil d’Etat ne l’annule dans une décision du 23 janvier 2020 qui a, pour la première fois, fait prévaloir cette méthode du faisceau d’indices (CE, 8e et 3e ch., 23 janv. 2020, n° 435562).
La Cour de cassation a fait sienne cette méthode et exige que les juridictions examinent tous les indices invoqués par le contribuable, à condition qu’ils soient fondés sur la nature de l’activité de la société et les conditions de son exercice.
Dans son arrêt du 13 mars 2024, et dans le prolongement d’un autre arrêt récent (Cass. com., 25 janv. 2023, n° 20-23.137), elle est allée jusqu’à casser un arrêt de cour d’appel qui, pour juger que l’activité principale d’une société était de nature civile, s’était fondée sur la prépondérance de cette activité dans son chiffre d’affaires et la valeur de ses actifs, sans examiner les autres indices invoqués par le contribuable.
Elle ajoute qu’il n’est pas possible de se fonder sur la prépondérance des actifs civils (en l’espèce liquidités et valeurs de placement) dans l’actif total sans rechercher si l’acquisition de ces actifs civils découlait, comme le soutenait le contribuable, de l’exercice de l’activité opérationnelle.
Il en découle une première certitude : le contribuable est recevable à se prévaloir d’indices autres que le chiffre d’affaires consacré à l’activité en cause et la valeur des actifs liés à cette activité dans l’actif total.
Mais cette jurisprudence soulève plusieurs questions. D’abord, quels sont ces autres indices ? L’arrêt rendu par la cour d’appel de Versailles le 12 mars 2024, après cassation dans une autre affaire, propose de premiers éléments de réponse, en mentionnant la possibilité de tenir compte du critère de la surface des locaux affectés à l’activité éligible sur la surface totale des locaux détenus. Il écarte en revanche d’autres indices, tels que l’ancienneté de l’activité ou l’affectation du personnel.
Ensuite, le poids des critères du chiffre d’affaires issu de l’activité éligible et des actifs qui lui sont affectés devient-il négligeable ? L’arrêt rendu par la cour d’appel de Versailles offre là aussi une première réponse, en considérant que le critère de la part de l’actif brut de la société tenant à la valeur des actifs liés à l’activité en cause demeure un critère déterminant. Il estime par ailleurs que le critère du chiffre d’affaires reste pertinent, même s’il dégage clairement une hiérarchie faisant prévaloir le critère de l’actif brut.
En troisième lieu, à quel point la pondération des différents indices peut-elle varier selon le type d’activité exercée ? Il paraît logique que, selon si l’activité en cause est ou non intensive en main d’œuvre, ou en locaux, certains indices seront plus ou moins pertinents.
Enfin, s’il est clair qu’il y a lieu de tenir compte dorénavant du fait que certains actifs, même civils, ont pu être acquis grâce à l’exercice de l’activité éligible, comment s’effectue cette prise en compte ? S’agit-il de les décompter en tant qu’actifs opérationnels, ou seulementde les neutraliser en ne retenant ni dans les actifs opérationnels, ni dans les actifs civils ? Par ailleurs, cette règle continue-t-elle de jouer lorsque la société développe une gestion active des actifs en cause ?
Signalons pour finir un dernier arrêt intéressant, rendu par la Cour de cassation le 10 mai 2024 en matière d’exonération d’ISF des biens professionnels.
En l’espèce, le contribuable contestait un rappel d’ISF résultant de la remise en cause de l’exonération des titres qu’il détenait dans la société Capimmo, société détenant à son actif des parts de SCI et exerçant à titre principal une activité commerciale de syndic et d’administration de biens au profit des SCI qu’elle détenait. La cour d’appel avait confirmé le redressement en se fondant sur ce que, même si cette société avait pour activité principale une activité commerciale, elle percevait d’importants produits financiers provenant de la location d’immeubles nus possédés par les SCI dont elle détenait 99,99 % des parts. La Cour de cassation casse son arrêt en affirmant que seul le critère de l’activité principale importe pour déterminer si la société est éligible : une société ayant une activité mixte peut être qualifiée d’opérationnelle si son activité civile de gestion de son propre patrimoine n’est pas exercée à titre principal. Se pose toutefois alors la question de savoir si, dans certains cas, la prépondérance des revenus issus de l’activité civile confèrera à cette activité un caractère principal : le critère du chiffre d’affaires risque en effet de dénier à l’activité opérationnelle le caractère principal.
Nota : La rubrique “En pratique” est conçue pour permettre aux professionnels de la fiscalité d’appréhender rapidement les conséquences pratiques d’un texte afin d’en faciliter la lecture et la mémorisation. De par sa nature, le contenu de cette rubrique peut être réducteur. De plus, elle est rédigée en simultané avec le texte principal et n’est pas mise à jour en fonction de l’évolution des textes, ni de leur interprétation par la jurisprudence ou la doctrine.
Compte tenu de la sensibilité, de la variété des situations, des enjeux et de l’évolution constante de la matière fiscale, il est recommandé aux non-spécialistes de consulter un professionnel, le plus souvent un avocat fiscaliste, pour assurer la sécurité juridique de leurs opérations. La rédaction décline toute responsabilité quant à l’application des mesures présentées dans la rubrique “En pratique”.
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