En pratique
L’« exit tax » sur les plus-values latentes prévue à l’article 221 du CGI ne peut plus être mise en œuvre si à la date du transfert du siège d’une société dans un autre état membre de l’union européenne, celle-ci a cessé d’exercer une activité la rendant imposable à l’IS en France
L’affaire jugée par le Conseil d’Etat concerne une société qui a transféré son siège social au Luxembourg à la fin de l’année 2012. A la suite d’une vérification de comptabilité, l’administration a considéré que ce transfert ne lui était opposable qu’à la date du 3 avril 2013, et considéré que l’exercice se clôturant le 30 avril 2013 était le dernier qui était imposable à l’IS en France. Elle a en conséquence, sur le fondement du 2 de l’article 221 du CGI, imposé les plus-values latentes au 3 avril 2013 et mis à la charge de la société, sur ce même fondement, des cotisations supplémentaires d’IS au titre de l’exercice clos en 2013.
Il convient de rappeler que le 2 de l’article 221 du CGI couvre trois cas de figure différents, correspondant à chacun des alinéas du texte :
– le premier concerne la dissolution d’une société suivie de la création d’une personne morale nouvelle avec transfert du siège dans un Etat étranger autre qu’un Etat membre de l’Union européenne: dans ce cas, l’impôt est établi immédiatement dans les conditions prévues aux 1 et 3 de l’article 201 ;
– le deuxième cas est celui d’une société qui cesse totalement ou partiellement d’être imposable au taux normal de l’IS : le même régime d’imposition immédiate est alors applicable ;
– le troisième cas vise le transfert du siège ou d’un établissement dans un autre Etat de l’Union européenne : dans cette hypothèse, les plus-values latentes ou en report font l’objet d’une imposition dans les deux mois qui suivent l’opération de transfert.
En bonne logique, les dispositions du deuxième alinéa peuvent trouver à s’appliquer à la suite de celles du troisième alinéa, une fois que le transfert du siège ou de l’établissement a eu lieu, et que la société cesse d’être imposable à l’IS en France car elle n’y réalise plus aucune activité imposable. En revanche, l’inverse n’est pas envisageable : l’« exit tax » sur les plus-values ne peut être mise en œuvre que tant que la société demeure encore imposable à l’IS. Si tel n’est plus le cas, seules les dispositions du deuxième alinéa trouvent à s’appliquer. Tout dépend donc de la date à laquelle la société cesse d’être assujettie à cette imposition en France.
En l’espèce, l’administration et les juges du fond ont estimé que la société avait poursuivi une activité en France jusqu’à la clôture de son exercice 2013, au motif qu’elle avait continué à acquitter un loyer pour les locaux qu’elle occupait et conservé un compte bancaire ouvert en France jusqu’en 2015. Le Conseil d’Etat a censuré cette approche en jugeant qu’en tant que tels, ces éléments n’établissent pas qu’elle avait déployé une activité taxable au cours de l’année 2013. Par conséquent, il a jugé qu’à la date que si l’administration était en droit de retenir comme date du transfert du siège au Luxembourg celle à laquelle elle a eu connaissance de cette opération, soit le 3 avril 2013, elle n’était plus en droit d’appliquer, à cette date, les dispositions du 3ème alinéa du 2 de l’article 221 du CGI permettant d’imposer les plus-values latentes puisque la société avait cessé d’être soumise à l’IS en France.
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Nota : La rubrique “En pratique” est conçue pour permettre aux professionnels de la fiscalité d’appréhender rapidement les conséquences pratiques d’un texte afin d’en faciliter la lecture et la mémorisation. De par sa nature, le contenu de cette rubrique peut être réducteur. De plus, elle est rédigée en simultané avec le texte principal et n’est pas mise à jour en fonction de l’évolution des textes, ni de leur interprétation par la jurisprudence ou la doctrine.
Compte tenu de la sensibilité, de la variété des situations, des enjeux et de l’évolution constante de la matière fiscale, il est recommandé aux non-spécialistes de consulter un professionnel, le plus souvent un avocat fiscaliste, pour assurer la sécurité juridique de leurs opérations. La rédaction décline toute responsabilité quant à l’application des mesures présentées dans la rubrique “En pratique”.
« (…)1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société FG Investissements, qui exerçait en France une activité de conseil et de gestion au bénéfice d’entreprises et de particuliers, a adopté lors de ses assemblées générales extraordinaires des 28 novembre et 20 décembre 2012 des résolutions décidant le transfert de son siège social au Luxembourg à compter de cette dernière date. A la suite d’une vérification de comptabilité portant sur la période correspondant aux années 2013 et 2014, l’administration fiscale a estimé que le transfert du siège au Luxembourg ne lui était devenu opposable qu’à compter du 3 avril 2013, date de publication de la radiation de cette société du registre français du commerce et des sociétés. En conséquence, après avoir mis la société FG Investissements en demeure de déposer une déclaration d’impôt sur les sociétés au titre de l’exercice qu’elle a regardé comme clos le 30 avril 2013, l’administration l’a assujettie, par voie de taxation d’office, à cet impôt, en application du 2 de l’article 221 du code général des impôts, à raison des bénéfices non encore imposés à la date du 30 avril 2013 ainsi que des plus-values latentes constatées, pour un montant de 5 230 900 euros, sur les éléments de l’actif immobilisé transférés avec son siège. Après avoir vainement réclamé contre ces impositions et la majoration de 40 % dont elles étaient assorties en application du b du 1 de l’article 1728 du code général des impôts, la société FG Investissement a saisi le tribunal administratif de Paris d’une demande en décharge, que celui-ci a rejetée par un jugement du 26 mai 2021. Elle se pourvoit en cassation contre l’arrêt du 14 février 2023 par lequel la cour administrative d’appel de Paris a rejeté l’appel qu’elle avait formé contre ce jugement.
2. En premier lieu, aux termes du I de l’article 209 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable aux impositions en litige : « Sous réserve des dispositions de la présente section, les bénéfices passibles de l’impôt sur les sociétés sont déterminés d’après les règles fixées par les articles 34 à 45,53 A à 57,237 ter A et 302 septies A bis et en tenant compte uniquement des bénéfices réalisés dans les entreprises exploitées en France, de ceux mentionnés aux a, e, e bis et e ter du I de l’article 164 B ainsi que de ceux dont l’imposition est attribuée à la France par une convention internationale relative aux doubles impositions ».
3. En deuxième lieu, aux termes de l’article 201 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable aux impositions en litige : « 1. Dans le cas de cession ou de cessation, en totalité ou en partie, d’une entreprise industrielle, commerciale, artisanale ou minière, ou d’une exploitation agricole dont les résultats sont imposés d’après le régime du bénéfice réel, l’impôt sur le revenu dû en raison des bénéfices réalisés dans cette entreprise ou exploitation et qui n’ont pas encore été imposés est immédiatement établi. / Les contribuables doivent, dans un délai de quarante-cinq jours déterminé comme il est indiqué ci-après, aviser l’administration de la cession ou de la cessation et lui faire connaître la date à laquelle elle a été ou sera effective, ainsi que, s’il y a lieu, les nom, prénoms, et adresse du cessionnaire. / (…) 3. Les contribuables assujettis à un régime réel d’imposition sont tenus de faire parvenir à l’administration, dans un délai de soixante jours déterminé comme indiqué au 1, la déclaration de leur bénéfice réel accompagnée d’un résumé de leur compte de résultat. / (…) Si les contribuables imposés d’après leur bénéfice réel ne produisent pas les déclarations ou renseignements visés au 1 et au premier alinéa du présent paragraphe, ou, si invités à fournir à l’appui de la déclaration de leur bénéfice réel les justifications nécessaires, ils s’abstiennent de les donner dans les trente jours qui suivent la réception de l’avis qui leur est adressé à cet effet, les bases d’imposition sont arrêtées d’office ». Aux termes du 2 de l’article 221 de ce code, dans sa rédaction applicable aux impositions en litige : «En cas (…) de transfert du siège ou d’un établissement dans un Etat étranger autre qu’un Etat membre de l’Union européenne ou qu’un Etat partie à l’accord sur l’Espace économique européen ayant conclu avec la France une convention d’assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l’évasion fiscales ainsi qu’une convention d’assistance mutuelle en matière de recouvrement ayant une portée similaire à celle prévue par la directive 2010/24/UE du Conseil du 16 mars 2010 concernant l’assistance mutuelle en matière de recouvrement des créances relatives aux taxes, impôts, droits et autres mesures, l’impôt sur les sociétés est établi dans les conditions prévues aux 1 et 3 de l’article 201. / Il en est de même, sous réserve des dispositions de l’article 221 bis, lorsque les sociétés ou organismes mentionnés aux articles 206 à 208 quinquies…cessent totalement ou partiellement d’être soumis à l’impôt sur les sociétés au taux prévu au deuxième alinéa du I de l’article 219. / Lorsque le transfert du siège ou d’un établissement s’effectue dans un autre Etat membre de l’Union européenne … et qu’il s’accompagne du transfert d’éléments d’actifs, l’impôt sur les sociétés calculé à raison des plus-values latentes constatées sur les éléments de l’actif immobilisé transférés et des plus-values en report ou en sursis d’imposition est acquitté dans les deux mois suivant le transfert des actifs : / a) Soit pour la totalité de son montant / b) Soit, sur demande expresse de la société, pour le cinquième de son montant. Le solde est acquitté par fractions égales au plus tard à la date anniversaire du premier paiement au cours des quatre années suivantes. (…) ».
4. Il résulte de ces dispositions, éclairées par les travaux préparatoires de la loi du 29 décembre 2012 de finances rectificative pour 2012 dont elles sont issues, que si le transfert du siège social d’une entreprise dans un autre État membre de l’Union européenne n’emporte pas, par lui-même, la mise en œuvre de la procédure d’imposition immédiate de l’ensemble des bénéfices réalisés de l’entreprise qui n’ont pas encore été imposés et l’obligation de déclaration de ses résultats à l’administration fiscale prévues à l’article 201 du code général des impôts, cette procédure d’imposition immédiate s’applique, conformément au deuxième alinéa du 2 de l’article 221 de ce code, lorsque ce transfert, indépendamment de la date à laquelle l’administration en a eu connaissance, s’accompagne de la cessation totale ou partielle de son assujettissement à l’impôt sur les sociétés en France.
5. Lorsque la société poursuit l’exploitation d’une entreprise en France après le transfert de son siège dans un autre Etat membre de l’Union européenne, il y a seulement lieu, en application du troisième alinéa du 2 de l’article 221 précité, de procéder le cas échéant, dans les conditions prévues par ces dispositions, à l’imposition à la date de ce transfert des plus-values en report ou en sursis et des plus-values latentes constatées sur les éléments de l’actif immobilisé transférés en même temps que le siège. En revanche, les dispositions du troisième alinéa du 2 de l’article 221 ne sauraient trouver application à une date postérieure à celle à laquelle la société a totalement cessé d’être soumise à l’impôt sur les sociétés en France.
6. Pour juger que la société FG Investissements avait poursuivi l’exploitation d’une entreprise en France jusqu’au 30 avril 2013 et n’avait, par suite, cessé d’être soumise à l’impôt sur les sociétés qu’à cette date, la cour s’est fondée, d’une part, sur ce que cette société n’avait rendu la clé des bureaux qu’elle louait à Paris que le 11 avril 2013, à l’expiration du préavis qu’elle avait adressé le 11 janvier en vue de la résiliation de son bail et, d’autre part, sur ce qu’elle n’avait clôturé son compte bancaire français que le 13 octobre 2015. En statuant au regard de ces seules circonstances, qui étaient insuffisantes pour caractériser la poursuite d’une exploitation en France, au sens des dispositions précitées de l’article 209 du code général des impôts, la cour a commis une erreur de droit.
7. Il résulte de ce qui a été dit au point 5 que ce moyen justifie l’annulation de la totalité de l’arrêt attaqué, y compris en ce qu’il s’est prononcé sur l’imposition de la plus-value latente constatée sur les titres de la société Photoweb. Sans qu’il soit besoin de se prononcer sur l’autre moyen du pourvoi, la société FG Investissements est donc fondée à demander l’annulation de l’arrêt qu’elle attaque ».
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