En pratique
L’analyse de la compatibilité des différences de traitement en matière de fiscalité des distributions transfrontalières suppose une analyse fine de la jurisprudence de la Cour de justice, en particulier concernant la comparabilité des situations.
L’arrêt Volvo Group Belgium (aff. C-436/23) est relatif à la compatibilité, avec la liberté d’établissement d’une taxe belge (dite « fairness tax ») portant sur la distribution de bénéfices qui, en raison de l’utilisation de certains avantages prévus par la législation fiscale belge, ne sont pas compris dans le résultat imposable de la filiale distributrice (la taxe en cause a été annulée par la Cour constitutionnelle belge, mais ses effets ont été maintenus pour le passé). Son intérêt réside surtout dans le raisonnement déployé par la Cour sur la « comparabilité des situations », qui permet de mettre en évidence une différence de traitement fiscal contraire à la liberté d’établissement.
En l’occurrence, la législation fiscale belge induisait une différence de traitement puisqu’une filiale résidence d’une société non-résidente était assujettie à cette taxe sur ses distributions, tandis qu’une société non-résidente exerçant son activité en Belgique par l’intermédiaire d’un établissement stable ou d’une succursale n’y était pas assujettie.
Dans son arrêt, la Cour observe d’abord que cette taxe est susceptible de rendre moins attrayante, pour les sociétés ayant leur siège dans un autre Etat membre, l’exercice de leurs activités en Belgique par l’intermédiaire d’une filiale plutôt que d’un établissement stable. Or, une telle différence de traitement de nature à limiter le libre choix de la forme juridique pour l’exercice d’une activité est susceptible de constituer une restriction à la liberté d’établissement (points 27 et 28 de l’arrêt).
Toutefois, la Cour rappelle qu’une telle différence de traitement peut être néanmoins compatible avec la liberté d’établissement si elle « concerne des situations qui ne sont pas objectivement comparables » ou si elle est justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général. Elle ajoute que la comparabilité des législations s’apprécie au regard de l’objectif poursuivi par la législation fiscale nationale, qui tend en l’espèce à « éviter que les bénéfices générés [en Belgique], en raison de l’utilisation de certains avantages fiscaux prévus par le régime fiscal national, ne soient distribués sans avoir été imposés au nom du contribuable ».
Or, dès lors que les établissements stables et les succursales des sociétés non-résidentes ne sont pas soumis à la fairness tax, la Cour relève que, dans le cadre de cette taxe, la Belgique « n’exerce plus son pouvoir d’imposition sur les bénéfices des établissements stables ou des succursales des sociétés non-résidentes » ; elle en déduit que « ces sociétés non-résidentes ne se trouvent pas dans une situation comparable à celle des sociétés résidentes, telles qu’une filiale d’une société non-résidente » (cf. points 32 à 35). Elle en conclut que la différence de traitement fiscal en cause n’est pas contraire à la liberté d’établissement.
Il semble ainsi que, selon la Cour, la non-imposition, dans le cadre d’une telle taxe spécifique, des bénéfices des établissements stables domestiques, permette de justifier que les filiales de sociétés non-résidentes soient imposées sur leurs distributions de bénéfices.
L’arrêt Crédit suisse Securities (aff. C-601/23), quant à lui, concerne les retenues à la source sur les dividendes et s’inscrit dans le prolongement logique de la jurisprudence Sofina (CJUE, 22 novembre 2018, C-575/17), qui concernait la retenue de l’article 119 bis du CGI.
Etait en cause en l’espèce la législation fiscale espagnole, qui soumet les dividendes distribués par certains territoires autonomes à une retenue à la source qui, lorsque ces dividendes sont perçus par une société résidente soumise à l’IS, est remboursée si cette société est déficitaire, alors qu’aucun remboursement n’est prévu lorsque les dividendes sont perçus par une société non-résidente déficitaire.
La Cour juge d’abord qu’un tel traitement désavantageux pour les sociétés non-résidentes percevant des dividendes constitue une restriction à la liberté de circulation des capitaux protégée par l’article 63 du TFUE.
Elle note en effet que, comme dans l’affaire Sofina qui concernait la législation française, les sociétés non-résidentes sont, lors de l’exercice de distribution, moins bien traitées fiscalement que les résidentes lorsqu’elles sont déficitaires. Elle ajoute que ce désavantage ne saurait être regardé comme compensé par l’existence d’autres avantages, tenant à une différence de taux d’imposition.
Enfin, elle juge que cette différence de traitement « concerne des situations objectivement comparables », et qu’elle ne saurait être justifiée ni par l’efficacité du recouvrement de l’impôt, ni par la nécessité de préserver la répartition équilibrée du pouvoir d’imposition entre les États membres et de prévenir le risque de double emploi des pertes ni, enfin, par la nécessité de préserver la cohérence du système fiscal.
Elle conclut donc à la violation de la libre circulation des capitaux.
Liens vers les arrêts :
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