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Casse-tête fiscal : l’imposition des bénéfices en cas de chaîne de sociétés de personnes

CE, 18 décembre 2024, n° 469461 : le Conseil d’Etat prend position sur les modalités d’imposition des revenus réalisés par une société de personnes détenue par d’autres sociétés de personnes dont l’activité est de nature distincte.

Etait en cause en l’espèce une SNC, relevant du régime des sociétés de personnes, exerçant à la fois une activité de location meublée, de nature commerciale, et une activité de location nue de logements, de nature civile. La SNC a déclaré les résultats de son activité de location meublée dans la catégorie des BIC mais, à l’issue d’une vérification de comptabilité, l’administration a requalifié l’ensemble de ses revenus locatifs en revenus fonciers. Elle a par conséquent notifié à ses associés, à savoir deux EURL relevant elles aussi du régime des sociétés de personnes et exerçant une activité commerciale de location meublée, des rehaussements de résultats à raison de ces revenus fonciers, en proportion de leurs droits dans la SNC. Enfin, les associés des deux EURL ont été assujettis à des suppléments d’IR et de contributions sociales.

Le TA de Grenoble puis la CAA de Lyon ont confirmé le redressement. Le juge d’appel a en effet estimé que, dès lors que ces revenus provenaient de biens ne pouvant être regardés comme affectés à l’activité commerciale exercée par ailleurs par la SNC, il y avait lieu d’appliquer à la part de bénéfice correspondante, tirée par les EURL de leurs droits dans cette société, les dispositions du II de l’article 238 bis K du CGI, qui prévoient que la part du bénéfice est imposée en tenant compte de la nature de l’activité exercée par la société de personnes. Elle a ainsi écarté la thèse des contribuables, qui considéraient que les EURL devaient être imposées sur ces revenus dans la catégorie des BIC par application des dispositions du I du même article, qui prévoient que, lorsque des droits dans une société de personnes sont inscrits à l’actif d’une entreprise industrielle, commerciale, artisanale ou agricole imposable à l’impôt sur le revenu de plein droit selon un régime de bénéfice réel, la part de bénéfice correspondant à ces droits est déterminée selon les règles applicables au bénéfice réalisé par l’entreprise qui détient ces droits.

Même s’il ne casse pas son arrêt, le Conseil d’Etat invalide le raisonnement du juge d’appel.

Il juge d’abord ce motif entaché d’erreur de droit : il retient que ce sont bien, comme le soutenaient les contribuables, les dispositions du I de l’article 238 bis K du CGI qui sont applicables, « dès lors que cette part de bénéfice provenait pour ces EURL, entreprises commerciales imposables à l’impôt sur le revenu selon un régime de bénéfice réel, des droits, inscrits à leur actif, qu’elles détenaient dans une société de personnes ». Il ajoute que les modalités de détermination du résultat de la société détenue sont sans incidence sur l’applicabilité des dispositions de l’article 238 bis K.

Toutefois, il mobilise ensuite une autre disposition du CGI, à savoir son article 155, pour conclure que l’administration était néanmoins fondée à taxer ces revenus dans la catégorie des revenus fonciers ; il sauve ainsi l’arrêt d’appel de la cassation en opérant une substitution de motifs.

Il relève en effet que, pour les deux EURL, ceux de leurs revenus correspondant à la location nue d’un immeuble de logements par la SNC ne provenaient pas d’une activité correspondant à l’activité commerciale qu’elles exerçaient à titre professionnel, et que les produits de cette location nue ne présentaient pas, pour ces EURL, un caractère marginal. Or, en vertu du II et du III de l’article 155 du CGI, dans un tel cas, ces revenus doivent être regardés, pour ces deux EURL détentrices, comme des revenus fonciers. Il en déduit qu’ils devaient par suite être imposés comme tels entre les mains des contribuables, qui en étaient les associés patrimoniaux.

Au total, le Conseil d’Etat résume l’apport de cet arrêt par un considérant de principe inédit, en énonçant que « lorsqu’une société de personnes n’ayant pas opté pour l’impôt sur les sociétés et ayant une activité dont les revenus relèvent de la catégorie des BIC, détient des parts, inscrites à son bilan, d’une autre société de personnes, le bénéfice net, mentionné à l’article 38 du CGI, de la société détentrice ne comprend pas, en application des II et III de l’article 155 du même code, la fraction de sa quote-part du résultat de la société détenue correspondant à une activité de celle-ci distincte de l’activité exercée à titre professionnel par la société détentrice, sauf à ce que les produits correspondant à cette fraction de quote-part ne présentent pour la société détentrice qu’un caractère marginal tel que défini par les dispositions du 3 du II de l’article 155 ». Il ajoute que « les revenus constitués par cette fraction de quote-part sont taxables, entre les mains des associés de la société détentrice, lorsque ces derniers relèvent du II de l’article 238 bis K du même code ou, s’ils relèvent du I de ce même article, lorsque les conditions d’application des II et III de l’article 155 du code général des impôts sont réunies pour ce qui les concerne, dans la catégorie de revenus correspondant à l’activité dont ils sont issus ».

Nota : La rubrique “En pratique” est conçue pour permettre aux professionnels de la fiscalité d’appréhender rapidement les conséquences pratiques d’un texte afin d’en faciliter la lecture et la mémorisation. De par sa nature, le contenu de cette rubrique peut être réducteur. De plus, elle est rédigée en simultané avec le texte principal et n’est pas mise à jour en fonction de l’évolution des textes, ni de leur interprétation par la jurisprudence ou la doctrine.

Compte tenu de la sensibilité, de la variété des situations, des enjeux et de l’évolution constante de la matière fiscale, il est recommandé aux non-spécialistes de consulter un professionnel, le plus souvent un avocat fiscaliste, pour assurer la sécurité juridique de leurs opérations. La rédaction décline toute responsabilité quant à l’application des mesures présentées dans la rubrique “En pratique”.

2. Il ressort des pièces des dossiers soumis aux juges du fond que M. C… A… et M. B… A… sont respectivement l’unique associé et gérant des entreprises unipersonnelles à responsabilité limitée (EURL) Le Clos des Oliviers LMPR et Le Clos des Oliviers LMPF, relevant du régime d’imposition des sociétés de personnes. Ces deux entreprises, qui exercent une activité de location en meublé, détiennent, à parts égales, la société en nom collectif (SNC) TK, également soumise au régime fiscal des sociétés de personnes. A l’issue d’une vérification de comptabilité portant sur les exercices correspondant aux années 2013 à 2015, l’administration fiscale a requalifié en revenus fonciers une partie des revenus locatifs déclarés comme des bénéfices industriels et commerciaux par la société TK. L’administration fiscale a notifié en conséquence aux deux EURL des rehaussements de résultats, en proportion des droits qu’elles détenaient dans la SNC TK, à raison de ces revenus fonciers. MM. A… ont été en conséquence assujettis, en qualité d’associés, à des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu et de contributions sociales au titre des années 2013 à 2015, majorées de pénalités. Ils se pourvoient en cassation contre les arrêts du 6 octobre 2022 par lesquels la cour administrative d’appel de Lyon a rejeté les appels qu’ils avaient formés contre les jugements du 17 juillet 2020 du tribunal administratif de Grenoble rejetant leurs demandes tendant à la décharge de ces impositions et pénalités.

3. Aux termes de l’article 38 du code général des impôts :  » 1. (…) le bénéfice imposable est le bénéfice net, déterminé d’après les résultats d’ensemble des opérations de toute nature effectuées par les entreprises, y compris notamment les cessions d’éléments quelconques de l’actif, soit en cours, soit en fin d’exploitation. / 2. Le bénéfice net est constitué par la différence entre les valeurs de l’actif net à la clôture et à l’ouverture de la période dont les résultats doivent servir de base à l’impôt diminuée des suppléments d’apport et augmentée des prélèvements effectués au cours de cette période par l’exploitant ou par les associés. L’actif net s’entend de l’excédent des valeurs d’actif sur le total formé au passif par les créances des tiers, les amortissements et les provisions justifiés. / (…) « . Aux termes des II et III de l’article 155 du même code, introduits par l’article 13 de la loi du 29 décembre 2010 de finances rectificative pour 2010, dans leur version applicable au litige, applicables aux entreprises industrielles ou commerciales non soumises à l’impôt sur les sociétés :  » II.-1. Le bénéfice net mentionné à l’article 38 est : / 1° Diminué du montant des produits qui ne proviennent pas de l’activité exercée à titre professionnel (…) / 2° Augmenté du montant des charges admises en déduction qui ne sont pas nécessitées par l’exercice de l’activité à titre professionnel (…) / 3. Le 1° du 1 n’est pas applicable, d’une part, et le 2° du même 1 n’est applicable qu’à la quote-part des charges afférentes à un bien qui excède le montant des produits afférents au même bien, d’autre part : / 1° Lorsque les produits mentionnés au 1° du même 1 n’excèdent pas 5 % de l’ensemble des produits de l’exercice, y compris ceux pris en compte pour la détermination des résultats mentionnés au I mais hors plus-values de cession ; / 2° Ou que les produits mentionnés au même 1° n’excèdent pas 10 % de l’ensemble des produits de l’exercice, y compris ceux pris en compte pour la détermination des résultats mentionnés au I mais hors plus-values de cession, si la condition mentionnée au 1° du présent 3 était satisfaite au titre de l’exercice précédent. / III. – 1. Les charges et produits mentionnés au 1 du II sont retenus, suivant leur nature, pour la détermination : / 1° Des revenus fonciers, des revenus de capitaux mobiliers, des profits mentionnés à l’article 150 ter ou des plus-values de cession à titre onéreux de biens ou droits de toute nature mentionnées aux articles 150-0 A à 150 VH, selon les règles applicables à ces catégories de revenus ; / 2° D’un bénéfice, distinct du bénéfice net, imposable dans les conditions prévues aux 1°, 1° bis, 1° ter ou 2° du I de l’article 156. / (…) « . Enfin, aux termes de l’article 238 bis K du même code :  » I. – Lorsque des droits dans une société ou un groupement mentionnés aux articles 8,8 quinquies, 239 quater, 239 quater B, 239 quater C ou 239 quater D sont inscrits à l’actif d’une personne morale passible de l’impôt sur les sociétés dans les conditions de droit commun ou d’une entreprise industrielle, commerciale, artisanale ou agricole imposable à l’impôt sur le revenu de plein droit selon un régime de bénéfice réel, la part de bénéfice correspondant à ces droits est déterminée selon les règles applicables au bénéfice réalisé par la personne ou l’entreprise qui détient ces droits. / (…) / II. – Dans tous les autres cas, la part de bénéfice ainsi que les profits résultant de la cession des droits sociaux sont déterminés et imposés en tenant compte de la nature de l’activité et du montant des recettes de la société ou du groupement « .

4. Il résulte de la combinaison des dispositions précitées, telles qu’éclairées par les travaux parlementaires ayant précédé l’adoption de la loi du 29 décembre 2010, que lorsqu’une société de personnes n’ayant pas opté pour l’impôt sur les sociétés et ayant une activité dont les revenus relèvent de la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux, détient des parts, inscrites à son bilan, d’une autre société de personnes, le bénéfice net, mentionné à l’article 38 du code général des impôts, de la société détentrice ne comprend pas, en application des II et III de l’article 155 du même code, la fraction de sa quote-part du résultat de la société détenue correspondant à une activité de celle-ci distincte de l’activité exercée à titre professionnel par la société détentrice, sauf à ce que les produits correspondant à cette fraction de quote-part ne présentent pour la société détentrice qu’un caractère marginal tel que défini par les dispositions du 3 du II de l’article 155. Les revenus constitués par cette fraction de quote-part sont taxables, entre les mains des associés de la société détentrice, lorsque ces derniers relèvent du II de l’article 238 bis K du même code ou, s’ils relèvent du I de ce même article, lorsque les conditions d’application des II et III de l’article 155 du code général des impôts sont réunies pour ce qui les concerne, dans la catégorie de revenus correspondant à l’activité dont ils sont issus.

5. Il ressort des énonciations des arrêts attaqués, non contestées en cassation, d’une part, que la SNC TK et les EURL Le Clos des Oliviers LMPR et Le Clos des Oliviers LMPF relevaient du régime de l’article 8 du code général des impôts et exerçaient une activité de location en meublé à usage d’habitation imposable à l’impôt sur le revenu en tant qu’activité commerciale selon le régime réel normal, d’autre part, que la SNC TK exerçait également par ailleurs une activité de location immobilière de locaux nus, de nature civile, dont les revenus relevaient de la catégorie des revenus fonciers.

6. Pour écarter le moyen tiré de ce que les bénéfices des EURL Le Clos des Oliviers LMPR et Le Clos des Oliviers LMPF résultant de la détention de parts de la SNC TK devaient, par application du I de l’article 238 bis K du code général des impôts, être déterminés selon les règles applicables aux bénéfices industriels et commerciaux, y compris s’agissant de la quote-part des revenus tirés par la SNC TK de son activité de location nue, la cour administrative d’appel s’est fondée sur ce que, dès lors que ces revenus provenaient de biens ne pouvant être regardés comme affectés à l’activité commerciale exercée par ailleurs par la SNC TK, il y avait lieu d’appliquer à la part de bénéfice correspondante, tirée par les EURL de leurs droits dans cette société, les dispositions du II de cet article et non celles du I. Ce faisant, elle a commis une erreur de droit, les modalités de détermination du résultat de la société détenue étant sans incidence sur l’applicabilité des dispositions de l’article 238 bis K, et celles du I de cet article étant en l’espèce applicables aux EURL dès lors que cette part de bénéfice provenait pour ces EURL, entreprises commerciales imposables à l’impôt sur le revenu selon un régime de bénéfice réel, des droits, inscrits à leur actif, qu’elles détenaient dans une société de personnes.

7. Toutefois, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond, et n’a jamais été contesté, que, pour les EURL Le Clos des Oliviers LMPR et Le Clos des Oliviers LMPF, qui exerçaient une activité commerciale, ceux de leurs revenus correspondant à la location nue d’un immeuble de logements par la SNC TK ne provenaient pas d’une activité correspondant à l’activité qu’elles exerçaient à titre professionnel, et que les produits de cette location nue ne présentaient pas, pour ces EURL, un caractère marginal. Il résulte de ce qui a été dit au point 4 ci-dessus qu’ils devaient donc être regardés, pour ces deux EURL, en application des dispositions combinées du II et du III de l’article 155 et du I de l’article 238 bis K du code général des impôts, comme des revenus fonciers, et qu’ils devaient par suite être imposés comme tels entre les mains de MM. A…, qui en étaient les associés patrimoniaux. Il y a lieu de substituer ce motif, qui repose sur des faits non contestés, au motif erroné en droit retenu par l’arrêt attaqué, dont il justifie le dispositif.
























 

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