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Crédit d’impôt recherche : des possibilités contentieuses confortées pour les entreprises

CE, 15 janvier 2025, RAGT Semences : l’entreprise qui a cédé sa créance de CIR sous cession « Dailly » et n’a pas présenté de réclamation reste recevable à poursuivre devant le juge le contentieux initié par l’établissement de crédit cessionnaire.

La contestation des refus de remboursement de créances de crédit d’impôt recherche (CIR) soulève souvent des questions délicates, liées au caractère triangulaire de ces contentieux : aux côtés de l’entreprise et de l’administration fiscale se trouve fréquemment une banque, à laquelle la créance de crédit d’impôt a été cédée.

La décision rendue par le Conseil d’Etat le 15 janvier apporte dans ce contexte une précision importante, en permettant à l’entreprise de conserver toutes les possibilités contentieuses lorsque c’est la banque qui a initié la contestation.

En l’espèce, la société RAGT Semences, mère d’un groupe fiscalement intégré, avait déclaré des crédits d’impôt recherche à raison de dépenses exposées par sa filiale, puis cédé sa créance à la société Natixis, sous le régime de la cession « Dailly » prévu par l’article L. 313-23 du code monétaire et financier. La société Natixis a ensuite présenté des réclamations tendant au remboursement de ces créances, auxquelles l’administration n’a fait que partiellement droit. Le juge de l’impôt ayant été saisi, non pas par la banque, mais par la société RAGT Semences, le TA de Toulouse, par un jugement confirmé en appel par la CAA de Toulouse, a rejeté sa demande : les juges du fond ont considéré que seule la banque, auteure de la réclamation, était recevable à poursuivre le contentieux.

La décision du Conseil d’Etat invalide le raisonnement des juges du fond.

Elle rappelle d’abord, dans la lignée de la jurisprudence fiscale antérieure, que lorsque la cession Dailly intervient avant la présentation de la demande tendant au remboursement de cette créance devant un tribunal, l’établissement de crédit cessionnaire, comme le cédant, a qualité pour agir devant le juge de l’impôt afin d’obtenir le paiement de cette créance, indépendamment des procédures de notification de la cession de créance ou d’acceptation de cette cession par le débiteur.

Le Conseil d’Etat apporte ensuite une précision nouvelle en jugeant que, « pour justifier de la recevabilité de l’instance qu’il a directement introduite devant le tribunal administratif tendant au paiement de la créance qu’elle a cédée, l’entreprise cédante peut se prévaloir de la réclamation préalable présentée par l’établissement cessionnaire à l’administration fiscale, eu égard à l’objet de celle-ci ».

Il vient ainsi déroger, formellement, à l’obligation de présentation d’une réclamation préalable par le contribuable, et au caractère individuel de la réclamation : de manière pragmatique, il retient que le fait qu’une réclamation a été présentée, fût-ce par la banque, suffit.

Faisant application de cette règle souple, il casse l’arrêt d’appel pour erreur de droit commise en jugeant que la société RAGT Semences ne pouvait se prévaloir des réclamations préalables présentées par la société Natixis pour justifier de la recevabilité des instances qu’elle avait directement introduites devant le tribunal administratif afin d’obtenir que les créances cédées soient remboursées.

2. Il ressort des pièces des dossiers soumis aux juges du fond que la société RAGT Semences, société mère d’un groupe fiscalement intégré auquel appartient la société RAGT 2N, a déclaré les 14 octobre 2015 et 30 septembre 2016 des crédits d’impôt recherche à raison de dépenses exposées par cette filiale au titre des exercices clos en 2014 et 2015. Par conventions conclues les 2 juin 2016 et 27 janvier 2017, notifiées à l’administration fiscale, elle a cédé à la société Natixis, sous le régime prévu par l’article L. 313-23 du code monétaire et financier, les créances de crédit d’impôt qu’elle estimait détenir à ce titre sur le Trésor. La société Natixis a présenté, les 2 janvier 2019 et 2 janvier 2020, des réclamations tendant au remboursement de ces créances auxquelles l’administration n’a, pour chacun des deux exercices en litige, fait que partiellement droit. Saisi par la société RAGT Semences, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté, par deux jugements du 19 octobre 2021, sa demande tendant au remboursement du reliquat des créances en cause. Elle se pourvoit en cassation contre les arrêts du 28 septembre 2023 par lesquels la cour administrative d’appel de Toulouse a rejeté ses appels formés contre ces jugements.

3. D’une part, aux termes de l’article 244 quater B du code général des impôts :  » I. – Les entreprises (…) peuvent bénéficier d’un crédit d’impôt au titre des dépenses de recherche qu’elles exposent au cours de l’année (…) « . Aux termes de l’article 220 B du même code :  » Le crédit d’impôt pour dépenses de recherche défini à l’article 244 quater B est imputé sur l’impôt sur les sociétés dû par l’entreprise dans les conditions prévues à l’article 199 ter B « . Aux termes de l’article 199 ter B du même code :  » I. – Le crédit d’impôt pour dépenses de recherche défini à l’article 244 quater B est imputé sur l’impôt sur le revenu dû par le contribuable au titre de l’année au cours de laquelle les dépenses de recherche prises en compte pour le calcul du crédit d’impôt ont été exposées. L’excédent de crédit d’impôt constitue au profit de l’entreprise une créance sur l’Etat d’égal montant. Cette créance est utilisée pour le paiement de l’impôt sur le revenu dû au titre des trois années suivant celle au titre de laquelle elle est constatée puis, s’il y a lieu, la fraction non utilisée est remboursée à l’expiration de cette période. / La créance est inaliénable et incessible, sauf dans les cas et conditions prévus par les articles L. 214-169 à L. 214-190 et L. 313-23 à L. 313-35 du code monétaire et financier. (…) « .

4. Aux termes du premier alinéa de l’article L. 190 du livre des procédures fiscales :  » Les réclamations relatives aux impôts, contributions, droits, taxes, redevances, soultes et pénalités de toute nature, établis ou recouvrés par les agents de l’administration, relèvent de la juridiction contentieuse lorsqu’elles tendent à obtenir soit la réparation d’erreurs commises dans l’assiette ou le calcul des impositions, soit le bénéfice d’un droit résultant d’une disposition législative ou réglementaire « . Aux termes du premier alinéa de l’article R. 190-1 du même livre :  » Le contribuable qui désire contester tout ou partie d’un impôt qui le concerne doit d’abord adresser une réclamation au service territorial, selon le cas, de la direction générale des finances publiques ou de la direction générale des douanes et droits indirects dont dépend le lieu de l’imposition « . La demande de remboursement d’un crédit d’impôt recherche présentée sur le fondement des dispositions de l’article 199 ter B du code général des impôts citées au point 3 constitue une réclamation au sens de l’article L. 190 du livre des procédures fiscales.

5. D’autre part, aux termes du premier alinéa de l’article L. 313-23 du code monétaire et financier :  » Tout crédit qu’un établissement de crédit (…) consent à une personne morale de droit privé ou de droit public, ou à une personne physique dans l’exercice par celle-ci de son activité professionnelle, peut donner lieu au profit de cet établissement (…) par la seule remise d’un bordereau, à la cession ou au nantissement par le bénéficiaire du crédit, de toute créance que celui-ci peut détenir sur un tiers, personne morale de droit public ou de droit privé ou personne physique dans l’exercice par celle-ci de son activité professionnelle. / (…) « . Aux termes de l’article L. 313-24 du même code :  » Même lorsqu’elle est effectuée à titre de garantie et sans stipulation d’un prix, la cession de créance transfère au cessionnaire la propriété de la créance cédée. / Sauf convention contraire, le signataire de l’acte de cession ou de nantissement est garant solidaire du paiement des créances cédées ou données en nantissement « . Aux termes de l’article L. 313-27 du même code :  » La cession ou le nantissement prend effet entre les parties et devient opposable aux tiers à la date apposée sur le bordereau lors de sa remise, quelle que soit la date de naissance, d’échéance ou d’exigibilité des créances, sans qu’il soit besoin d’autre formalité (…) « . Aux termes de l’article L. 313-28 de ce code :  » L’établissement de crédit (…) peut, à tout moment, interdire au débiteur de la créance cédée ou nantie de payer entre les mains du signataire du bordereau. A compter de cette notification, (…) le débiteur ne se libère valablement qu’auprès de l’établissement de crédit (…) « . Enfin, aux termes de l’article L. 313-29 du même code :  » Sur la demande du bénéficiaire du bordereau, le débiteur peut s’engager à le payer directement (…). / Dans ce cas, le débiteur ne peut opposer à l’établissement de crédit (…) les exceptions fondées sur ses rapports personnels avec le signataire du bordereau, à moins que l’établissement de crédit (…), en acquérant ou en recevant la créance, n’ait agi sciemment au détriment du débiteur « .

6. Lorsque la cession de créance professionnelle effectuée dans les conditions prévues aux articles L. 313-23 et suivants du code monétaire et financier intervient avant la présentation de la demande tendant au remboursement de cette créance devant un tribunal, l’établissement de crédit cessionnaire, comme le cédant, a qualité pour agir devant le juge de l’impôt afin d’obtenir le paiement de cette créance, indépendamment des procédures de notification de la cession de créance ou d’acceptation de cette cession par le débiteur. Pour justifier de la recevabilité de l’instance qu’il a directement introduite devant le tribunal administratif tendant au paiement de la créance qu’elle a cédée, l’entreprise cédante peut se prévaloir de la réclamation préalable présentée par l’établissement cessionnaire à l’administration fiscale, eu égard à l’objet de celle-ci.

7. Il ressort des énonciations des arrêts attaqués que, pour rejeter les appels de la société RAGT Semences, la cour a jugé que cette société ne pouvait se prévaloir des réclamations préalables présentées par la société Natixis, établissement de crédit cessionnaire, pour justifier de la recevabilité des instances qu’elle avait directement introduites devant le tribunal administratif afin d’obtenir que les créances cédées soient remboursées. Il résulte de ce qui a été dit au point 6 qu’en statuant ainsi, la cour a commis une erreur de droit.

8. Il suit de là, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens des pourvois, que la société RAGT Semences est fondée à demander l’annulation des arrêts qu’elle attaque.























 

Nota : La rubrique “En pratique” est conçue pour permettre aux professionnels de la fiscalité d’appréhender rapidement les conséquences pratiques d’un texte afin d’en faciliter la lecture et la mémorisation. De par sa nature, le contenu de cette rubrique peut être réducteur. De plus, elle est rédigée en simultané avec le texte principal et n’est pas mise à jour en fonction de l’évolution des textes, ni de leur interprétation par la jurisprudence ou la doctrine.

Compte tenu de la sensibilité, de la variété des situations, des enjeux et de l’évolution constante de la matière fiscale, il est recommandé aux non-spécialistes de consulter un professionnel, le plus souvent un avocat fiscaliste, pour assurer la sécurité juridique de leurs opérations. La rédaction décline toute responsabilité quant à l’application des mesures présentées dans la rubrique “En pratique”.

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