En pratique
Le choix d’une méthode d’évaluation d’une provision ne constitue pas, par lui-même, une décision de gestion opposable au contribuable. Celui-ci est en droit d’invoquer une autre méthode tant devant l’administration que devant le juge. Seul importe en définitive la démonstration de ce que le montant de la provision a été évaluée le plus exactement possible.
Dans cette affaire soumise au Conseil d’Etat, le litige portait sur les provisions techniques que les compagnies d’assurance sont autorisées à déduire de leurs résultats, en tant que contrepartie de leurs engagements vis-à-vis des assurés et des bénéficiaires de contrats d’assurance, et plus précisément sur le montant de la « provision pour sinistres à payer ».
La société Groupama constitue en effet le réassureur des caisses de ce groupe mutualiste, et l’administration fiscale a contesté le montant provisionné à ce titre, au motif qu’il ne correspondait pas au montant des évaluations consolidées au niveau des caisses régionales, la différence étant liée à la comptabilisation d’une « provision pour risques et incertitudes », regardée par le service vérificateur comme une « marge de sécurité » injustifiée par rapport au montant probable des charges au titre des sinistres à payer.
Le tribunal administratif puis la cour administrative d’appel ont successivement confirmé l’analyse des services fiscaux en estimant que la méthode d’évaluation retenue par la société Groupama conduisait à dégager une marge de prudence non justifiée, ayant pour effet de porter les provisions à un niveau excessif par rapport aux sinistres susceptibles de survenir.
Le juge d’appel a en outre refusé de faire droit à l’argumentation de la société tirée de ce qu’elle aurait été en droit de déduire de son résultat fiscal les provisions pour sinistres à payer telles qu’évaluées par les caisses régionales selon une méthode « dossier par dossier » distincte de la sienne reposant sur un calcul actuariel, d’autant que ces montants étaient supérieurs à sa propre évaluation. La cour a en effet considéré que la société n’était pas fondée à opposer à l’administration le montant de provisions déterminées par des tiers, dès lors qu’ils étaient remis en cause par ses propres évaluations.
Devant le Conseil d’Etat, la société a critiqué ce raisonnement sur le terrain de l’erreur de droit et a obtenu gain de cause. En effet, si la décision de constituer ou de maintenir une provision au passif du bilan constitue une décision de gestion opposable au contribuable (CE 18 octobre 2022 n° 461039 min. c/ société Dovre France), et si ce dernier n’est pas en droit de réclamer la déduction d’une provision d’un montant supérieur à celui inscrit dans sa comptabilité, il n’en va pas de même pour une entreprise qui prétend obtenir la déduction d’une provision pour un montant inférieur à celui qu’elle aurait été en droit de constater comptablement (CE 10 décembre 2004 n° 236706 Société Roissy Films).
Le Conseil d’Etat juge en l’espèce qu’en pareil cas, le contribuable est par ailleurs en droit d’invoquer devant le juge de l’impôt une méthode alternative à celle qu’il a initialement retenue, le juge se devant alors, à peine d’erreur de droit, d’examiner l’argumentation dont il est saisi et la validité de la nouvelle méthode proposée, avant de valider le redressement opéré par l’administration. La décision rendue annule l’arrêt de la cour et lui renvoie l’affaire afin qu’elle réexamine ce point.
(…) Sur les conclusions du pourvoi dirigées contre l’arrêt attaqué, en tant qu’il statue sur le chef de redressement procédant de la réintégration partielle de la provision pour sinistres à payer :
3. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Groupama a, au titre de son activité de réassureur des caisses régionales du groupe à la tête duquel elle se situe, déduit du résultat de son exercice clos en 2007 une provision pour sinistres à payer dont le montant, déterminé par application d’une méthode basée sur l’observation historique des cadences de règlements ou de charges, dite « Chain-Ladder », était majoré d’un complément pour « risques et incertitudes », résultant de la mise en œuvre d’une seconde méthode, dite de « Mack ». L’administration a admis, dans son principe, la déduction de cette provision mais a remis en cause la prise en compte du montant complémentaire.
4. Aux termes de l’article R. 331-36 du code des assurances, dans sa version applicable au litige : « Les provisions techniques correspondant aux opérations de réassurance acceptées sont les suivantes : (…) / 4° Provision pour sinistres à payer : valeur estimative des dépenses en principal et en frais, tant internes qu’externes, nécessaires au règlement de tous les sinistres survenus et non payés, y compris les capitaux constitutifs des rentes non encore mises à la charge de l’entreprise (…) ». Aux termes de l’article R. 331-15 du même code, dans sa version applicable au litige : « La provision pour sinistres à payer est calculée exercice par exercice. / Sans préjudice de l’application des règles spécifiques à certaines branches prévues à la présente section, l’évaluation des sinistres connus est effectuée dossier par dossier, le coût d’un dossier comprenant toutes les charges externes individualisables ; elle est augmentée d’une estimation du coût des sinistres survenus mais non déclarés. / La provision pour sinistres à payer doit toujours être calculée pour son montant brut, sans tenir compte des recours à exercer ; les recours à recevoir font l’objet d’une évaluation distincte. / Par dérogation aux dispositions du deuxième alinéa du présent article, l’entreprise peut, avec l’accord de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, utiliser des méthodes statistiques pour l’estimation des sinistres survenus au cours des deux derniers exercices ». Aux termes de l’article R. 332-18 du même code, dans sa version applicable au litige : « En ce qui concerne les acceptations en réassurance, les entreprises enregistrent immédiatement en comptabilité tous les éléments reçus de leurs cédantes. En l’absence d’informations suffisantes, elles estiment les comptes non reçus des cédantes à la clôture de l’exercice avec pour contrepartie des comptes de régularisation qui seront soldés à l’ouverture de l’exercice suivant ou à réception des comptes des cédantes, ou elles compensent provisoirement les soldes de tous les comptes incomplets d’un même exercice par une écriture d’attente qui sera contrepassée à l’ouverture de l’exercice suivant. / En tout état de cause et quel que soit le mode de comptabilisation retenu, lorsque le réassureur connaît l’existence d’une perte, celle-ci doit être provisionnée pour son montant prévisible ».
5. Il ressort des écritures de Groupama Assurances Mutuelles devant la cour administrative d’appel que, pour justifier de ce que la société Groupama était en droit de déduire du résultat fiscal de son exercice clos en 2007 l’intégralité de la provision pour sinistres à payer qu’elle avait constituée à raison de la part qu’elle réassurait de l’activité des caisses locales et régionales du groupe, dont le montant avait été déterminé par application des méthodes « Chain‑Ladder » et de « Mack », celle-ci faisait valoir que ce montant était inférieur à celui qui aurait résulté de l’évaluation selon la méthode « dossier par dossier » des sinistres à payer déjà déclarés, prescrite par les dispositions de l’article R. 331-15 du code des assurances et mise en œuvre par ces caisses locales et régionales.
6. Groupama Assurances Mutuelles devait ainsi être regardée comme invoquant devant le juge, comme elle en avait la possibilité, une méthode alternative à celle que la société Groupama avait initialement appliquée pour justifier le montant de la provision qu’elle avait enregistrée en comptabilité et déduite de son résultat fiscal. En écartant cette argumentation au seul motif que ne pouvait être opposé à l’administration un montant de provision déterminé par des tiers disposant de leurs propres éléments de calcul selon une méthode différente de celle que la contribuable avait elle-même appliquée, sans statuer sur le bien-fondé de la méthode alternative ainsi invoquée, la cour a commis une erreur de droit.
(Renvoi de l’affaire devant la CAA).
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