En pratique
Les principes de sécurité juridique et de confiance légitime du droit de l’UE, qui peuvent être invoqués à l’encontre de tout dispositif fiscal induisant une entrave aux libertés européennes, s’opposent à ce qu’une mesure fiscale rétroagisse à la date de son annonce publique lorsque cette dernière n’est pas suffisamment claire.
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La décision rendue par le Conseil d’Etat le 5 février 2025, dont la portée va au-delà de l’exit tax, fera date à deux égards. D’une part, elle admet que le contribuable invoque les principes généraux du droit de l’UE à l’encontre d’une disposition fiscale qui ne procède pas de la transposition d’une directive, mais est purement nationale. D’autre part, elle confirme que le fait d’appliquer rétroactivement une mesure fiscale dès la date de son annonce publique est contraire à ces principes lorsque cette annonce n’était pas suffisamment claire pour permettre aux contribuables d’anticiper le traitement fiscal de leurs opérations.
En l’espèce, le contribuable avait quitté la France pour la Belgique le 15 avril 2011, quelques semaines avant la présentation, mi-mai, du PLFR pour 2011 proposant la réintroduction d’une exit-tax sur les plus-values des expatriés. Il a néanmoins été soumis à cette taxe puisque son entrée en vigueur était rétroactive dès l’annonce publique qui en avait été faite, début mars, par le ministre F. Baroin lors d’une conférence au ministère des finances.
Pour contester cette imposition, il a fait valoir que cette rétroactivité serait contraire aux principes de sécurité juridique et de confiance légitime protégés par le droit de l’UE.
La première question posée par le litige était donc de savoir si ces principes pouvaient être invoqués dans un litige portant sur l’application d’un dispositif fiscal purement interne, qui ne résulte pas d’une directive européenne.
Le Conseil d’Etat répond par l’affirmative : se fondant sur la jurisprudence de la Cour de justice de l’UE, il juge que les principes généraux du droit de l’Union peuvent être invoqués à l’encontre d’une réglementation nationale lorsqu’elle est de nature à entraver une liberté fondamentale garantie par le TFUE et que l’État membre concerné invoque des raisons impérieuses d’intérêt général reconnues par le droit de l’Union pour justifier une telle entrave.
Il en déduit que, dès lors que l’exit tax induit une entrave à la liberté d’établissement, les principes de sécurité juridique et de confiance légitime peuvent être invoqués, même si cette entrave est proportionnée.
Restait ensuite à savoir si ces principes s’opposaient, ou non, à la décision du législateur de faire rétroagir l’exit tax aux expatriations intervenues dès l’annonce publique de la mesure.
Pour y répondre, le Conseil d’Etat s’appuie là aussi sur la jurisprudence de la Cour de justice, en particulier sur un arrêt du 26 avril 2005, Goed Wonen (C-376/02), qui juge que les principes de protection de la confiance légitime et de la sécurité juridique « ne s’opposent pas à ce qu’un État membre, à titre exceptionnel et afin d’éviter que soient utilisés à grande échelle, pendant le processus législatif, des montages destinés à minimiser la charge fiscale contre lesquels une loi de modification vise précisément à lutter, donne à cette loi un effet rétroactif, lorsque les contribuables effectuant des actes tels que ceux visés par la loi ont été avertis de la prochaine adoption de cette loi et de l’effet rétroactif envisagé de manière telle qu’ils soient en mesure de comprendre les conséquences de la modification législative envisagée sur les actes qu’ils pratiquent ou qu’ils projettent ».
Or en l’espèce, le Conseil d’Etat juge que l’annonce publique effectuée par le ministre début mars 2011 n’était pas suffisamment claire au regard de ces principes : après avoir relevé que le ministre a fait brièvement état d’une réflexion en cours relative à la manière d’ « appréhender le revenu du contribuable qui s’expatrie non pour des raisons professionnelles mais seulement le temps d’échapper à la taxation de sa plus-value » et a conclu son intervention en rappelant qu’aucun décision n’avait encore été prise, il juge que « de tels propos, eu égard à leur caractère prospectif, ne peuvent être regardés comme annonçant le rétablissement d’une imposition des plus-values en cas de transfert du domicile fiscal hors de France ». Il en déduit que « dans les circonstances de l’espèce, l’application des dispositions de l’article 167 bis du code général des impôts aux transferts du domicile fiscal dans un autre Etat membre de l’Union, réalisés à compter du 3 mars 2011 jusqu’au 11 mai 2011, date à laquelle les contribuables ont eu connaissance du dispositif tel qu’adopté par le conseil des ministres et soumis à la discussion parlementaire, doit être regardée comme portant atteinte aux principes de protection de la confiance légitime et de la sécurité juridique ».
Ainsi, le Conseil d’Etat ne condamne pas la rétroactivité à la date du conseil des ministres d’adoption du PLFR, ni même à la date de l’annonce publique antérieure, mais exige que cette dernière soit dépourvue d’équivoque sur les intentions du Gouvernement. Dès lors que l’annonce en cause n’était pas suffisamment claire, il censure la rétroactivité dans cette mesure.
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. A… a transféré son domicile fiscal en Belgique le 15 avril 2011 et a souscrit, le 28 juin 2012, conformément aux dispositions de l’article 167 bis du code général des impôts, une déclaration faisant état, d’une part, d’une plus-value latente et, d’autre part, d’une plus-value en report d’imposition. Par un jugement du 1er décembre 2020, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté les conclusions de M. A… tendant à la décharge des impositions d’impôt sur le revenu et de contributions sociales afférentes à ces plus-values et bénéficiant du sursis d’imposition. Saisie de l’appel formé par M. A… contre ce jugement, la cour administrative d’appel de Paris, par un arrêt du 5 avril 2023, a prononcé un non-lieu à statuer à hauteur du dégrèvement d’impôt sur le revenu afférent à la plus-value latente à raison de la conservation des titres en cause au moins huit ans après le transfert du domicile fiscal, et a rejeté le surplus des conclusions de la requête. M. A… se pourvoit, dans cette mesure, contre cet arrêt.
Sur l’étendue du litige en cassation :
2. Par une décision du 23 avril 2024, postérieure à l’introduction du pourvoi, l’administration fiscale a prononcé le dégrèvement des contributions sociales en litige afférentes à la plus-value latente, à hauteur de la somme de 787 120 euros. Les conclusions du pourvoi sont, dans cette mesure, devenues sans objet. Par suite, il n’y a plus lieu d’y statuer.
Sur le surplus des conclusions du pourvoi, relatif à la plus-value placée en report d’imposition :
3. Aux termes de l’article 167 bis du code général des impôts, dans sa rédaction applicable au litige : » I.-1. Les contribuables fiscalement domiciliés en France pendant au moins six des dix années précédant le transfert de leur domicile fiscal hors de France sont imposables lors de ce transfert au titre des plus-values latentes constatées sur les droits sociaux, valeurs, titres ou droits mentionnés au présent 1 qu’ils détiennent, directement ou indirectement, à la date du transfert hors de France de leur domicile (…) / II.- Lorsqu’un contribuable transfère son domicile fiscal hors de France, les plus-values de cession ou d’échange de droits sociaux, valeurs, titres ou droits mentionnés au 1 du I du présent article dont l’imposition a été reportée en application du II de l’article 92 B, de l’article 92 B decies et des I ter et II de l’article 160, dans leur rédaction en vigueur avant le 1er janvier 2000, de l’article 150-0 C, dans sa rédaction en vigueur avant le 1er janvier 2006, et de l’article 150-0 B bis sont imposables lors de ce transfert au taux d’imposition mentionné au 4 du I du présent article. / III.- Pour l’application du présent article, le transfert hors de France du domicile fiscal d’un contribuable est réputé intervenir le jour précédant celui à compter duquel ce contribuable cesse d’être soumis en France à une obligation fiscale sur l’ensemble de ses revenus. / IV.- Lorsque le contribuable transfère son domicile fiscal hors de France dans un Etat membre de l’Union européenne (…), il est sursis au paiement de l’impôt afférent aux plus-values constatées dans les conditions prévues au I du présent article ou aux plus-values imposables en application du II. / (…) / VII. (…) / 2. A l’expiration d’un délai de huit ans suivant le transfert de domicile fiscal hors de France ou lorsque le contribuable transfère de nouveau son domicile fiscal en France si cet événement est antérieur, l’impôt établi dans les conditions du I du présent article (…) est dégrevé d’office, ou restitué s’il avait fait l’objet d’un paiement immédiat lors du transfert de domicile fiscal hors de France (…) « . Aux termes du IV de l’article 48 de la loi du 29 juillet 2011 de finances rectificative pour 2011, ayant institué ces dispositions : » Le présent article est applicable aux transferts du domicile fiscal hors de France intervenus à compter du 3 mars 2011 « . Ces dispositions ont pour effet de déterminer, en ce qui concerne les plus-values qu’elles mentionnent, un fait générateur de l’impôt sur le revenu spécifique, attaché à la date du transfert du domicile fiscal hors de France et non à la situation existant à la fin de l’année au titre de laquelle l’imposition est établie.
4. Aux termes de l’article 49 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne : » (…) les restrictions à la liberté d’établissement des ressortissants d’un État membre dans le territoire d’un autre État membre sont interdites (…) « .
5. D’une part, il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne que la situation d’une personne qui transfère sa résidence d’un État membre vers un autre État membre est similaire à celle d’une personne maintenant sa résidence dans le premier État membre, en ce qui concerne l’imposition des plus-values afférentes aux actifs qui ont été générées dans le premier État membre antérieurement au transfert de résidence. Il s’ensuit que la différence de traitement à laquelle est soumis, en matière d’imposition sur les plus-values résultant d’un échange des parts sociales, un contribuable qui transfère sa résidence en dehors du territoire national par rapport à un contribuable qui maintient sa résidence sur ce territoire constitue une restriction à la liberté d’établissement, au sens de l’article 49 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Cette restriction peut être justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général, sous réserve, dans une telle hypothèse, que celle-ci soit propre à garantir la réalisation de l’objectif en cause et qu’elle n’aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif. La nécessité de préserver la répartition équilibrée du pouvoir d’imposition entre les États membres, conformément au principe de territorialité, constitue une raison impérieuse d’intérêt général.
6. D’autre part, il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne que les principes généraux du droit de l’Union ont vocation à être appliqués dans toutes les situations régies par le droit de l’Union et qu’ils doivent, ainsi, notamment, être respectés lorsqu’une réglementation nationale entre dans le champ d’application de ce droit. Or, tel est le cas lorsqu’une réglementation nationale est de nature à entraver une liberté fondamentale garantie par le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et que l’État membre concerné invoque des raisons impérieuses d’intérêt général reconnues par le droit de l’Union pour justifier une telle entrave. En pareille hypothèse, la réglementation nationale concernée ne peut bénéficier des exceptions ainsi prévues que si elle est conforme aux principes généraux du droit de l’Union.
7. Les dispositions de l’article 167 bis du code général des impôts citées au point 3 qui prévoient d’imposer les plus-values latentes en cas de transfert du domicile fiscal dans un autre Etat de l’Union même si elles n’ont pas encore effectivement été réalisées ainsi que de mettre un terme au report de l’imposition des plus-values réalisée antérieurement, sans exiger, lors du transfert de la résidence fiscale, le recouvrement immédiat de l’imposition due ni assortir cette dispense de la constitution de garanties, ne sont pas contraires à la liberté d’établissement dès lors que la restriction qu’elles apportent à cette liberté est justifiée par la raison impérieuse d’intérêt général, reconnue par le droit de l’Union, tenant à la nécessité de préserver le pouvoir d’imposition de la France, et ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif.
8. Mais il résulte de ce qui a été dit aux points 6 et 7 que l’imposition des plus-values latentes et en report d’imposition sur le fondement des dispositions de l’article 167 bis du code général des impôts doit être regardée comme régie par le droit de l’Union. Par suite, en écartant comme inopérant le moyen tiré de l’atteinte aux principes de protection de la confiance légitime et de la sécurité juridique au motif que, dès lors que les dispositions de l’article 167 bis du code général des impôts n’étaient pas contraires à la liberté d’établissement, les impositions en litige étaient uniquement régies par la loi française et non par le droit de l’Union européenne, la cour administrative d’appel a commis une erreur de droit.
9. Il résulte de ce qui précède que, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, M. A… est fondé à demander l’annulation de l’arrêt qu’il attaque en tant qu’il se prononce sur les cotisations d’impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles il a été assujetti au titre de l’année 2011 à raison de la plus-value dont le report d’imposition a pris fin consécutivement au transfert de son domicile fiscal hors de France.
10. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de régler l’affaire au fond dans cette mesure, en application de l’article L. 821-2 du code de justice administrative.
11. Il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, en particulier de son arrêt du 26 avril 2005, Goed Wonen (C-376/02), que les principes de protection de la confiance légitime et de la sécurité juridique ne s’opposent pas à ce qu’un État membre, à titre exceptionnel et afin d’éviter que soient utilisés à grande échelle, pendant le processus législatif, des montages destinés à minimiser la charge fiscale contre lesquels une loi de modification vise précisément à lutter, donne à cette loi un effet rétroactif, lorsque les contribuables effectuant des actes tels que ceux visés par la loi ont été avertis de la prochaine adoption de cette loi et de l’effet rétroactif envisagé de manière telle qu’ils soient en mesure de comprendre les conséquences de la modification législative envisagée sur les actes qu’ils pratiquent ou qu’ils projettent.
12. Il résulte de l’instruction que la date du 3 mars 2011 retenue par le législateur pour fixer la date d’application des dispositions de l’article 167 bis du code général des impôts, antérieure à l’adoption par le conseil des ministres et le dépôt sur le bureau de l’Assemblée nationale, le 11 mai 2011, du projet de loi de finances rectificative pour 2011 comportant la proposition de rétablissement de ce dispositif fiscal, correspond à celle à laquelle le ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l’Etat a prononcé, en clôture d’un colloque sur la fiscalité du patrimoine, une allocution dans laquelle il a exposé les scénarii de réforme de l’impôt de solidarité sur la fortune envisagés par le Gouvernement en vue de soumettre au Parlement un projet de loi de finances rectificative avant l’été 2011. Dans ce cadre, le ministre a fait brièvement état, à la fin de son propos, d’une autre réflexion en cours relative à la manière d' » appréhender le revenu du contribuable qui s’expatrie non pour des raisons professionnelles mais seulement le temps d’échapper à la taxation de sa plus-value » et a conclu son intervention en rappelant qu’aucun décision n’avait encore été prise et que le projet de loi à venir serait le fruit » d’un travail de concertation et de réflexion « . De tels propos, eu égard à leur caractère prospectif, ne peuvent être regardés comme annonçant le rétablissement d’une imposition des plus-values en cas de transfert du domicile fiscal hors de France. Par suite, dans les circonstances de l’espèce, l’application des dispositions de l’article 167 bis du code général des impôts aux transferts du domicile fiscal dans un autre Etat membre de l’Union, réalisés à compter du 3 mars 2011 jusqu’au 11 mai 2011, date à laquelle les contribuables ont eu connaissance du dispositif tel qu’adopté par le conseil des ministres et soumis à la discussion parlementaire, doit être regardée comme portant atteinte aux principes de protection de la confiance légitime et de la sécurité juridique.
13. Il résulte de ce qui précède que, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de sa requête d’appel, M. A…, qui a transféré son domicile fiscal en Belgique le 15 avril 2011, est fondé à soutenir que c’est à tort que le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à la décharge des impositions restant en litige.
Nota : La rubrique “En pratique” est conçue pour permettre aux professionnels de la fiscalité d’appréhender rapidement les conséquences pratiques d’un texte afin d’en faciliter la lecture et la mémorisation. De par sa nature, le contenu de cette rubrique peut être réducteur. De plus, elle est rédigée en simultané avec le texte principal et n’est pas mise à jour en fonction de l’évolution des textes, ni de leur interprétation par la jurisprudence ou la doctrine.
Compte tenu de la sensibilité, de la variété des situations, des enjeux et de l’évolution constante de la matière fiscale, il est recommandé aux non-spécialistes de consulter un professionnel, le plus souvent un avocat fiscaliste, pour assurer la sécurité juridique de leurs opérations. La rédaction décline toute responsabilité quant à l’application des mesures présentées dans la rubrique “En pratique”.
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