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Procédures pénales et redressements fiscaux : de nouvelles conséquences des enquêtes préliminaires

CE, 5 février 2025, n° 487980, Sté Roussillon Salaisons : le Conseil d’Etat juge que, lorsque l’administration reçoit dans le cadre d’une enquête préliminaire une information révélant une méconnaissance des règles fiscales, le délai spécial de reprise de dix ans prévu par l’article L. 188 C du LPF s’applique.

On sait que, lorsque l’autorité judiciaire transmet à l’administration des informations sur certaines insuffisances d’imposition révélées par une instance en cours, le livre des procédure fiscales lui ouvre un délai allongé pour procéder au redressement du contribuable. Ainsi, même si les délais de reprise ordinaire sont écoulés, l’article L. 188 C de ce livre autorise l’administration à réparer ces insuffisances jusqu’à la fin de l’année suivant celle de la décision qui a clos l’instance et, au plus tard, jusqu’à la fin de la dixième année qui suit celle au titre de laquelle l’imposition est due.

Pendant longtemps, ce délai spécial ne pouvait s’appliquer que lorsque l’information est transmise dans le cadre d’une « instance » devant les tribunaux. Le Conseil d’Etat en déduisait qu’il ne s’appliquait pas aux informations recueillies d’une enquête préliminaire (en particulier lors des auditions des dirigeants et salariés de sociétés) ou de l’examen de l’opportunité des poursuites par le parquet : il considère en effet qu’aucune « instance » n’est ouverte avant que n’intervienne la décision de poursuivre. 

Mais une LFR du 29 décembre 2015 est venue modifier l’article L. 188 C en remplaçant le terme d’ « instance » par « procédure judiciaire ». Jusqu’aujourd’hui, la jurisprudence ne permettait pas de savoir avec certitude si, et dans quelle mesure, cette modification avait conduit à étendre les cas d’application de cette règle dérogatoire.

Par une décision du 5 février 2025, le Conseil d’Etat interprète pour la première fois ce nouveau texte et juge que la modification de 2015 a bien pour conséquence d’étendre cette règle aux informations révélées au cours d’une enquête préliminaire.

Plus précisément, il juge, à la lumière des travaux préparatoires de la loi de finances rectificative pour 2015, « que le législateur a entendu étendre l’application du délai spécial de reprise (…) aux cas dans lesquels la révélation d’omissions ou insuffisances d’imposition intervient avant même l’ouverture d’une instance devant les tribunaux répressifs, dans le cadre d’une procédure judiciaire telle qu’une enquête préliminaire, une enquête de flagrance ou lors de l’examen des poursuites par le ministère public. »

Il censure donc pour erreur de droit un arrêt d’appel qui, pour prononcer la décharge d’un redressement fondé sur des informations révélées par un bulletin de signalement fiscal de la gendarmerie, contenant des procès-verbaux d’auditions de l’ancien dirigeant de la société, se fondait sur le fait qu’aucune instance devant le juge répressif n’était encore ouverte à la date de réception de ce bulletin de signalement.


1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Roussillon Salaisons a fait l’objet d’une vérification de comptabilité à l’issue de laquelle l’administration fiscale a, notamment, mis à sa charge des cotisations supplémentaires d’impôt sur les sociétés au titre des exercices clos entre 2006 et 2015. Par un jugement du
1er février 2021, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté la demande de la société Roussillon Salaisons tendant à la décharge de ces impositions et des pénalités correspondantes. Par un arrêt du 6 juillet 2023, la cour administrative d’appel de Toulouse a prononcé la décharge de celles de ces impositions établies au titre des exercices clos entre 2006 et 2013 ainsi que des pénalités correspondantes. Le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique se pourvoit en cassation contre cet arrêt. Eu égard à l’argumentation soulevée à l’appui de son pourvoi, il doit être regardé comme ne demandant l’annulation de cet arrêt qu’en tant qu’il se prononce sur les cotisations supplémentaires d’impôt sur les sociétés établies au titre des exercices clos en 2012 et 2013 ainsi que sur les pénalités correspondantes.

2. En vertu du premier alinéa de l’article L. 169 du livre des procédures fiscales, le droit de reprise de l’administration s’exerce en principe, s’agissant de l’impôt sur les sociétés, jusqu’à la fin de la troisième année qui suit celle au titre de laquelle l’imposition est due.

3. L’article L. 188 C du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction issue de l’article 10 de la loi du 29 décembre 2012 de finances rectificative pour 2012, prévoyait que :  » Même si les délais de reprise sont écoulés, les omissions ou insuffisances d’imposition révélées par une instance devant les tribunaux ou par une réclamation contentieuse peuvent être réparées par l’administration des impôts jusqu’à la fin de l’année suivant celle de la décision qui a clos l’instance et, au plus tard, jusqu’à la fin de la dixième année qui suit celle au titre de laquelle l’imposition est due « . Pour l’application de ces dispositions aux omissions ou insuffisances d’imposition révélées par une instance devant les tribunaux répressifs, seul l’engagement de poursuites devait être regardé comme ouvrant l’instance, ni l’ouverture d’une enquête préliminaire, ni l’examen des poursuites par le ministère public, selon les formes et conditions prévues par le code de procédure pénale, n’ayant, eux-mêmes, un tel effet.

4. Cependant, aux termes du même article L. 188 C du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction issue de l’article 92 de la loi du 29 décembre 2015 de finances rectificative pour 2015 :  » Même si les délais de reprise sont écoulés, les omissions ou insuffisances d’imposition révélées par une procédure judiciaire, par une procédure devant les juridictions administratives ou par une réclamation contentieuse peuvent être réparées par l’administration des impôts jusqu’à la fin de l’année suivant celle de la décision qui a clos la procédure et, au plus tard, jusqu’à la fin de la dixième année qui suit celle au titre de laquelle l’imposition est due « . Il résulte de ces nouvelles dispositions, éclairées par les travaux préparatoires de la loi de finances rectificative pour 2015, que le législateur a entendu étendre l’application du délai spécial de reprise qu’elles prévoient aux cas dans lesquels la révélation d’omissions ou insuffisances d’imposition intervient avant même l’ouverture d’une instance devant les tribunaux répressifs, dans le cadre d’une procédure judiciaire telle qu’une enquête préliminaire, une enquête de flagrance ou lors de l’examen des poursuites par le ministère public.

5. En l’espèce, il ressort des énonciations non contestées de l’arrêt attaqué que pour mettre à la charge de la société Roussillon Salaisons les impositions supplémentaires en litige, l’administration fiscale s’est fondée sur des informations relatives à l’existence de marges arrière non déclarées par la société que lui avaient consenties ses fournisseurs espagnols, révélées par un bulletin de signalement fiscal établi par le groupement d’intervention régional de la gendarmerie le 20 février 2016 et contenant des extraits des procès-verbaux de deux auditions de l’ancien dirigeant de cette société. Faisant application des dispositions de l’article L. 188 C du livre des procédures fiscales dans sa rédaction issue de l’article 92 de la loi de finances rectificative pour 2015, citées au point 4, la cour administrative d’appel a toutefois jugé que l’administration fiscale ne pouvait se prévaloir du délai spécial de reprise pour réparer les insuffisances d’impôt sur les sociétés dû au titre des exercices clos en 2012 et 2013 au motif que, lors de la réception de ce bulletin de signalement, aucune instance devant les juridictions répressives n’était encore ouverte. Il résulte de ce qui a été dit au point 4 qu’en statuant ainsi, la cour administrative d’appel a commis une erreur de droit.

 

Nota : La rubrique “En pratique” est conçue pour permettre aux professionnels de la fiscalité d’appréhender rapidement les conséquences pratiques d’un texte afin d’en faciliter la lecture et la mémorisation. De par sa nature, le contenu de cette rubrique peut être réducteur. De plus, elle est rédigée en simultané avec le texte principal et n’est pas mise à jour en fonction de l’évolution des textes, ni de leur interprétation par la jurisprudence ou la doctrine.

Compte tenu de la sensibilité, de la variété des situations, des enjeux et de l’évolution constante de la matière fiscale, il est recommandé aux non-spécialistes de consulter un professionnel, le plus souvent un avocat fiscaliste, pour assurer la sécurité juridique de leurs opérations. La rédaction décline toute responsabilité quant à l’application des mesures présentées dans la rubrique “En pratique”.

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