En pratique
Lorsqu’une société mère accorde un prêt à une filiale étrangère libellé en monnaie étrangère, elle peut opter pour la possibilité offerte par le 4 de l’article 38 du CGI de ne pas comptabiliser les écarts de change liés à cette créance dès lors que le prêt a été conclu pour une durée initiale et effective d’au moins trois ans.
Le 4 de l’article 38 du CGI prévoit que le résultat imposable à l’IS tient compte des gains de change et des pertes de change latents : les premiers sont immédiatement imposables et les secondes immédiatement déductibles. En cela, le droit fiscal s’écarte du droit comptable qui, d’une part, prescrit d’établir l’ensemble des documents comptables en euros, et donc d’effectuer des opérations de conversion pour les créances et dettes libellées en monnaie étrangère et, d’autre part, lorsque l’application du taux de conversion à la date de clôture de l’exercice a pour effet de modifier les montants en monnaie nationale précédemment comptabilisés, d’inscrire les différences de conversion à des comptes transitoires, en attente de régularisations ultérieures, ce qui conduit à les neutraliser pour la détermination du résultat.
La loi de finances rectificative pour 2017 a cependant complété le 4 de l’article 38 du CGI qui autorise les entreprises autres que les entreprises bancaires et financières de ne pas faire application des dispositions du premier alinéa du 4 aux « prêts libellés en monnaie étrangère consentis, à compter du 1er janvier 2001, (…) pour une durée initiale et effective d’au moins trois ans, à une société dont le siège social est situé dans un Etat ne participant pas à la monnaie unique et dont elles détiennent directement ou indirectement plus de la moitié du capital de manière continue pendant toute la période du prêt ». Ce dispositif vise donc exclusivement les prêts consentis par une société française à une filiale étrangère implantée hors zone euro. En sens inverse, les emprunts contractés par une société française auprès d’une société étrangère liée en sont exclus.
Dansl’affaire soumise au Conseil d’Etat,le prêt consenti à la filiale étrangèreétait d’une durée inférieure à trois ans, mais le prêt n’avait pas été remboursé en totalité à la date de la vérification de comptabilitéet la société mère soutenait que compte tenu des sommes en jeu, il ne serait soldé qu’à l’expiration d’un délai qui sera nécessairement supérieur à 3 ans. Elle soutenait également s’être elle-même endettée sur une durée supérieure à trois ans pour financer ce prêt.
Dans sa décision, le Conseil d’Etat n’écarte pas par principe la possibilité d’établir que la durée réelle d’un prêt puisse être différente de celle résultant des clauses du contrat. Toutefois, au cas d’espèce, il avait été conclu le 11 décembre 2013 et avait pour échéance le 31 décembre 2015, et aucun élément, tel qu’une avance consentie avant la date de conclusion du contrat, n’était de nature à démontrer que sa durée initiale et effective était d’au moins trois ans.
« 1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société par actions simplifiée (SAS) TM Group Investment Holding, a consenti un prêt libellé en dollars à sa filiale cambodgienne, la société Macox Manufacturing Company Ltd, pour financer la construction et le développement d’une usine de production textile au Cambodge. Les deux sociétés ont signé, le 11 décembre 2013, un contrat de prêt qui a été renouvelé par avenants des 2 décembre 2015 et 30 mars 2016. A la suite d’une vérification de comptabilité de la société TM Group Investment Holding, l’administration a réintégré aux résultats de ses exercices clos en 2015, 2016 et 2017, les écarts de conversion, résultant de la fluctuation du taux de change entre l’euro et le dollar, dont elle n’avait pas tenu compte fiscalement. La société TM Group Investment Holding se pourvoit en cassation contre l’arrêt du 7 décembre 2023 par lequel la cour administrative d’appel de Lyon a rejeté l’appel qu’elle a formé contre le jugement du tribunal administratif de Dijon ayant rejeté sa demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d’impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie, en conséquence de ces rectifications, au titre des trois exercices vérifiés.
2. En premier lieu, le moyen tiré de ce que la minute de l’arrêt attaqué ne comporterait pas les mentions prescrites par les dispositions de l’article R. 741-7 du code de justice administrative manque en fait.
3. En deuxième lieu, aux termes de l’article 38 du code général des impôts : « (…) 2. Le bénéfice net est constitué par la différence entre les valeurs de l’actif net à la clôture et à l’ouverture de la période dont les résultats doivent servir de base à l’impôt diminuée des suppléments d’apport et augmentée des prélèvements effectués au cours de cette période par l’exploitant ou par les associés. L’actif net s’entend de l’excédent des valeurs d’actif sur le total formé au passif par les créances des tiers, les amortissements et les provisions justifiés. (…) / 4. Pour l’application des 1 et 2, les écarts de conversion des devises ainsi que des créances et dettes libellées en monnaies étrangères par rapport aux montants initialement comptabilisés sont déterminés à la clôture de chaque exercice en fonction du dernier cours de change et pris en compte pour la détermination du résultat imposable de l’exercice. (…) / Les dispositions du premier alinéa ne sont pas applicables, sur option irrévocable, aux prêts libellés en monnaie étrangère consentis, à compter du 1er janvier 2001, par des entreprises autres que les établissements de crédit, les sociétés de financement et les entreprises d’investissement mentionnés à l’article 38 bis A, pour une durée initiale et effective d’au moins trois ans, à une société dont le siège social est situé dans un Etat ne participant pas à la monnaie unique et dont elles détiennent directement ou indirectement plus de la moitié du capital de manière continue pendant toute la période du prêt. Corrélativement, la valeur fiscale de ces prêts ne tient pas compte des écarts de conversion constatés sur le plan comptable. Les dispositions du présent alinéa ne sont pas applicables aux prêts faisant l’objet d’une couverture du risque de change ».
4. Il résulte des termes mêmes des dispositions précitées que le droit reconnu à l’entreprise, sur option de sa part, de ne pas tenir compte, pour la détermination de son résultat imposable, des gains et des pertes de change latents constatés à la clôture de l’exercice sur les créances correspondant à des prêts libellés en monnaie étrangère accordés à des filiales est subordonné, d’une part, à la condition que chaque prêt au titre duquel l’option est exercée soit d’une durée initiale d’au moins trois ans et, d’autre part, à la condition que ce prêt ait effectivement bénéficié à la filiale étrangère pendant au moins trois ans. La première de ces deux conditions s’apprécie à la date de l’octroi du prêt et indépendamment de celle tenant à la durée effective du prêt.
5. En conséquence, en se fondant, pour juger que l’administration avait à bon droit remis en cause l’option exercée par la société TM Group Investment Holding en application du quatrième alinéa du 4 de l’article 38 du code général des impôts, sur la circonstance que le contrat de prêt, dont elle a examiné la teneur par une appréciation souveraine exempte de dénaturation, conclu le 11 décembre 2013 entre cette société et sa filiale cambodgienne, avait pour échéance, selon l’article 3 de ce contrat, le 31 décembre 2015, de sorte que n’était pas satisfaite la première des deux conditions rappelées au point 3, tenant à ce que la durée initiale du prêt soit d’au moins trois ans, la cour, qui n’a par ailleurs pas exclu que la satisfaction de cette condition puisse être révélée par d’autres circonstances contemporaines de l’octroi des sommes prêtées, n’a pas commis d’erreur de droit.
6. En ne prenant en considération, pour apprécier si cette condition de durée initiale était remplie, ni le caractère reconductible du prêt, ni la circonstance que la société TM Group Investment Holding s’était elle-même endettée pour une durée supérieure à trois ans aux fins de consentir le prêt en cause, la cour, qui n’a pas insuffisamment motivé son arrêt, n’a pas davantage commis d’erreur de droit.
7. Il résulte de ce qui précède que la société TM Group Investment Holding n’est pas fondée à demander l’annulation de l’arrêt qu’elle attaque. »
Rejet du pourvoi.
Nota : La rubrique “En pratique” est conçue pour permettre aux professionnels de la fiscalité d’appréhender rapidement les conséquences pratiques d’un texte afin d’en faciliter la lecture et la mémorisation. De par sa nature, le contenu de cette rubrique peut être réducteur. De plus, elle est rédigée en simultané avec le texte principal et n’est pas mise à jour en fonction de l’évolution des textes, ni de leur interprétation par la jurisprudence ou la doctrine.
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