En pratique
Le contribuable sanctionné pour abus de droit peut utilement faire valoir, devant le juge judiciaire de l’impôt, que la majoration de 80 % n’est pas proportionnée aux circonstances de l’espèce.
Par un arrêt rendu le 12 février, publié au bulletin, la chambre commerciale de la Cour de cassation casse un arrêt d’appel pour n’avoir pas apprécié concrètement la proportionnalité de la majoration de 80 % prévue par l’article 1729 du CGI.
En l’espèce, la société requérante avait fait l’objet d’un redressement en matière de droits de mutation à titre onéreux, sur le fondement de l’abus de droit, l’administration ayant écarté la revente d’un immeuble comme ne lui étant pas opposable.
Devant les juges du fond, la société contestait notamment l’absence de modulation de la sanction aux faits de l’espèce.
Au visa de l’article 6 § 1 de la CEDH, la Cour de cassation fait droit à l’argumentation du contribuable.
Elle rappelle d’abord qu’un recours de pleine juridiction doit être ouvert au contribuable pour permettre au juge de se prononcer sur le principe et le montant de la pénalité fiscale. Elle énonce ensuite avec clarté que « le juge, saisi d’une demande en ce sens, doit vérifier que la pénalité fiscale est proportionnée au comportement du contribuable dans les circonstances de l’espèce ». Ainsi, si ce contrôle n’est pas effectué d’office par le juge, ce motif reconnaît toutefois la possibilité pour le contribuable de développer utilement une contestation sur ce point.
Sur cette base, elle prononce la cassation de l’arrêt attaqué : elle constate d’abord que, pour écarter la demande de modération de la majoration de 80 %, l’arrêt constate que l’administration a calculé la majoration prévue par l’article 1729 du code général des impôts et destinée à sanctionner les agissements reprochés au contribuable, auteur d’un abus de droit, et qu’il ajoute que cette sanction fiscale est proportionnée aux agissements commis. Elle juge qu’« en se déterminant ainsi, sans apprécier concrètement la proportionnalité de la pénalité aux circonstances de l’espèce, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ».
Cet arrêt s’impose au juge judiciaire de l’impôt.
Faits et procédure
1. Selon l’arrêt attaqué (Chambéry, 31 janvier 2023), après avoir notifié une première proposition de rectification le 4 août 2010, qu’elle a ensuite abandonnée, l’administration fiscale a, le 30 janvier 2012, notifié à la société Les Hauts de l’Oumède, marchand de biens, une proposition de rectification remettant en cause le bénéfice du régime prévu à l’article 1115 du code général des impôts, après avoir écarté, sur le terrain de l’abus de droit, la revente d’un immeuble.
2. Le 27 mai 2013, les droits, pénalités et intérêts de retard ont été mis en recouvrement.
3. Après le rejet de sa réclamation contentieuse, la société Les Hauts de l’Oumède a assigné l’administration fiscale en décharge de ces droits, intérêts et pénalités.
Moyens
Examen des moyens
Sur les deuxième et troisième moyens
Motivation
4. En application de l’article 1014, alinéa2, du code de procédure civile, il n’y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
5. La société Les Hauts de l’Oumède fait grief à l’arrêt de dire que la proposition de rectification du 30 janvier 2012 et l’avis de mise en recouvrement (AMR) du 17 mai 2013 sont réguliers et de rejeter l’ensemble de ses demandes, alors :
« 1°/ que lorsque l’avis de mise en recouvrement est consécutif à une procédure de rectification, cet acte doit, à peine de nullité, se référer, le cas échéant, aux documents adressés au contribuable l’informant d’une modification de droit, taxes et pénalités résultant de la rectification ; qu’en l’espèce, la cour d’appel, qui a refusé d’annuler l’AMR du 27 mai 2013 qui se référait à un courrier du 4 août 2010, jamais reçu par le contribuable et concernant en tout état de cause une procédure annulée, ce qui ne pouvait constituer une simple erreur matérielle, a violé l’article R. 256-1 du livre des
procédures fiscales ;
2°/ que l’avis de mise en recouvrement consécutif à une procédure de rectification doit, à peine de nullité, mentionner le texte du code général des impôts qui sert de base légale au redressement ; qu’en l’espèce, la cour d’appel, qui a jugé la procédure régulière, sans vérifier, comme cela lui avait été demandé, si l’AMR visait l’article du code général des impôts qui fondait le redressement au jour du fait générateur de l’impôt, a privé sa décision de base légale au regard de l’article R. 256-1 du livre des procédures fiscales. »
Motivation
Réponse de la Cour
6. Il résulte de l’article R. 256-1 du livre des procédures fiscales que l’AMR prévu à l’article L. 256 du même code, qui doit indiquer le montant des droits, des pénalités et des intérêts de retard qui font l’objet de cet avis et, lorsqu’il est consécutif à une procédure de rectification, faire référence à la proposition de rectification et, le cas échéant, au document adressé au contribuable l’informant d’une modification des droits, taxes et pénalités résultant des rectifications, doit permettre au contribuable de connaître les moyens de droit et de fait permettant d’apprécier le bien-fondé de l’imposition réclamée et d’identifier précisément la dette fiscale mise en recouvrement.
7. L’article R. 256-1 du livre des procédures fiscales ne fait en revanche pas obligation à l’administration fiscale de mentionner dans l’AMR les textes du code général des impôts dont il est fait application.
8. L’arrêt constate, par motifs propres et adoptés, que la société Les Hauts de l’Oumède a été rendue destinataire des propositions de rectification du 4 août 2010 et du 30 janvier 2012, que l’AMR du 17 mai 2013 indique le montant des droits, pénalités et intérêts de retard et vise la proposition de rectification avec, certes, une erreur matérielle puisque la date inscrite est celle du 4 août 2010 au lieu du 30 janvier 2012. Il retient que, toutefois, le contenu des deux propositions de rectification est identique dans sa motivation, comme l’a indiqué le conseil de la société requérante dans sa réclamation du 28 décembre 2015. Il en déduit que cette erreur de date s’analyse en une simple erreur matérielle.
9. De ces énonciations et constatations, dont il ressort que l’AMR mentionnait le montant des droits, pénalités et intérêts réclamés et renvoyait à une proposition de rectification du 4 août 2010 formellement délaissée par l’administration fiscale mais identique à celle du 30 janvier 2012, et que la société requérante avait été rendue destinataire des deux propositions de rectification, de sorte qu’elle avait été mise en mesure d’identifier précisément la dette fiscale mise en recouvrement et de connaître les moyens de droit et de fait permettant d’en apprécier le bien-fondé, la cour d’appel a exactement déduit que l’AMR était régulier.
10. Le moyen n’est donc pas fondé.
Moyens
Mais sur le quatrième moyen
Enoncé du moyen
11. La société Les Hauts de l’Oumède fait le même grief à l’arrêt, alors « que les juges doivent concrètement vérifier la proportionnalité de la majoration de 80 % appliquée par l’administration fiscale dans l’hypothèse d’abus de droit ; qu’en s’étant bornée à affirmer péremptoirement que la sanction fiscale était proportionnée aux agissements commis, la cour d’appel a violé l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ensemble le principe de proportionnalité. »
Motivation
Réponse de la Cour
Vu l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales :
12. Il résulte de ce texte qu’un recours de pleine juridiction doit être ouvert au contribuable pour permettre au juge de se prononcer sur le principe et le montant de la pénalité fiscale. Le juge, saisi d’une demande en ce sens, doit vérifier que la pénalité fiscale est proportionnée au comportement du contribuable dans les circonstances de l’espèce.
13. Pour écarter la demande de modération de la majoration de 80 % appliquée par l’administration fiscale au titre de l’abus de droit, l’arrêt constate que l’administration a calculé la majoration prévue par l’article 1729 du code général des impôts et destinée à sanctionner les agissements reprochés au contribuable, auteur d’un abus de droit. Il ajoute que cette sanction fiscale est proportionnée aux agissements commis.
14. En se déterminant ainsi, sans apprécier concrètement la proportionnalité de la pénalité aux circonstances de l’espèce, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision.
Nota : La rubrique “En pratique” est conçue pour permettre aux professionnels de la fiscalité d’appréhender rapidement les conséquences pratiques d’un texte afin d’en faciliter la lecture et la mémorisation. De par sa nature, le contenu de cette rubrique peut être réducteur. De plus, elle est rédigée en simultané avec le texte principal et n’est pas mise à jour en fonction de l’évolution des textes, ni de leur interprétation par la jurisprudence ou la doctrine.
Compte tenu de la sensibilité, de la variété des situations, des enjeux et de l’évolution constante de la matière fiscale, il est recommandé aux non-spécialistes de consulter un professionnel, le plus souvent un avocat fiscaliste, pour assurer la sécurité juridique de leurs opérations. La rédaction décline toute responsabilité quant à l’application des mesures présentées dans la rubrique “En pratique”.
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